Par Camille Lizop.
Nous avons affaire à des jeunes qui s’habillent sexy si elles en ont envie, parce que leur corps leur choix, et le crop top en étendard. Nudity is not sexuality. But sexuality is not guilty. Des jeunes qui font rimer tendance avec intelligence, et qui n’ont pas honte de soigner leur apparence. À l’instar de Melissa Amneris, qui se définit comme une “baddie engagée”, elle qui milite pour les droits des femmes, qui parle politique et qui pose en sous-vêtements.
Baddie, c’est la bimbo féministe, qui revendique son look et son intelligence. À rebours des pick me, on découvre avec plaisir le monde des tanagirls, ces tiktokeuses qui se réapproprient l’insulte “tana” (version 2.0 de “pute”, désormais étant bannie par les réseaux sociaux). Bienvenue à Tanaland, donc, un monde féminin et féministe, où règne la sororité. Un monde où les librairies regorgent d’ouvrages très à propos : Bimbo, repenser les normes de la féminité par Edie Blanchard, ou encore Vulgaire : qui décide ? dirigé par l’autrice Valérie Rey-Robert.
J’ai donc commencé à m’enflammer. À me dire que les bad bitches avaient tout compris, qu’elles se réappropriaient les leviers du patriarcat et qu’elles le mettraient bientôt KO. Ensuite, je me suis rappelée qu’on parlait de la génération Tik Tok, aussi appelée “génération bistouri”, dans le livre éponyme d’Elsa Mari et Ariane Riou, deux journalistes du Parisien.
Je me suis rappelée que le nombre d’opérations brazilian butlift avait triplé aux États-Unis depuis la création d’Instagram, et que les 18-34 ans ont aujourd’hui plus recours à la chirurgie esthétique que les 50-60 ans.
Alors, je me suis mise à trouver des défauts aux grands ongles et au make up : leur prix, leur côté cancérigène, le temps qu’ils demandent. Il m’a semblé qu’on ne pouvait pas analyser cette réappropriation des codes de la féminité ni cette revendication d’une féminité assumée voire exacerbée, sans questionner les évolutions structurelles de notre société. Notamment : les réseaux sociaux, en premier lieu TikTok et Instagram. Et avec eux : les filtres, la dysmorphophobie, la haine de soi. Voilà, je suis redescendue d’un coup.
Le patriarcat aurait-il réussi à récupérer le féminisme comme le capitalisme l’écologie ? Les grands ongles seraient-ils les nouveaux talons-aiguille, un horizon de pouvoir qui en même temps nous empêche ? Les rituels à base de produits toxiques et de frais financiers peuvent-ils vraiment être émancipateurs ? Peut-on questionner l’imparable rhétorique du “je m’épile, mais je le fais pour moi” ? Comment s’assurer qu’on change les règles du jeu, pas seulement le fait d’y consentir ?
Bref, serions-nous, encore une fois, les dindons de la farce ?
Camille Lizop
Ce texte est le dernier d'une trilogie. Vous voulez lire les premier et second épisodes ? Retrouvez-les juste ici et là.
Ressources et références citées :
Instagram, la foire aux vanités, Arte
IMCAS
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