💌 Manger comme bon vous semble, c’est politique !

Par Clémentine Buisson.

Curiosity Club News
5 min ⋅ 02/10/2025

J’ai passé le plus clair de ma vie à vouloir me rapetisser. Je dis bien ME rapetisser parce que cette envie était accompagnée de stratégies bien pensées et calibrées… par moi-même. Elles m’ont suivies un long moment. La surveillance était constante, j’étais devenue mon propre bourreau. C’est une première lecture Beauté Fatale, de Mona Chollet, qui m’a mis la puce à l’oreille à l’âge de 19 ans. Récemment, c’est Lauren Malka et son livre Mangeuses qui a été source d’apprentissages. Alors parce que la prise de conscience passe par le fait d’appréhender la systémie de ce que nous vivons, et donc mieux comprendre ce qui nous précède, voici quelques lignes qui vous donneront peut-être envie de lire ce récit-enquête paru en 2023.

Une problématique, encore et toujours d’actualité.

Si on peut se réjouir ou s’amuser du retour du jean taille basse, des lunettes rectangulaires en plastique et des strass dans les cheveux, on se serait néanmoins bien passées de la résurgence de la maigreur extrême comme point de référence. Cet emblème de la pop culture des années 2000 renaît de ses cendres à travers les réseaux sociaux. Aujourd’hui, les jeunes filles risquent de se retrouver prises dans le vortex du “Skinny Tok” et des vertiges de la culpabilité alimentaire à chaque fois qu’elles déverrouillent leur téléphone portable. 

L’appétit des femmes dérange.

Loin d’être une lubie de notre siècle, Lauren Malka détaille dans le livre un des moments qu’elle considère comme étant fondateur de cette culpabilité des femmes à l’égard de la nourriture. Au XIIIème siècle, les théologiens débattent à propos de la responsabilité respective d’Adam et Eve face au péché originel qui entraîne leur expulsion du jardin d’Eden et mène l’humanité à sa perte. Certains considèrent Eve comme davantage coupable puisque c’est elle qui a croqué dans la pomme. C’est Thomas d’Aquin qui tranche, en estimant qu’Eve n’est pas plus fautive qu’Adam, puisqu’elle serait moins capable de rationalité, en raison de son sexe bien sûr. Les femmes seraient naturellement plus sujettes aux tentations et aux pulsions, notamment face à la nourriture. Pulsions qu’il conviendra de contrôler. 

Cette façon de comprendre l’origine du monde s’immisce partout. Là où les hommes sont “gourmets”, les femmes deviennent “gloutonnes”. Au XIX siècle c’est le début de la “civilité gourmande". On se met à parler et écrire sur la nourriture. Les femmes sont aussitôt exclues de ce qu’on considère comme les premiers restaurants, et on les estime indignes des arts du palais. Dans son Almanach des gourmands, Laurent Grimod de la Reynière (1758-1837) écrit “Les femmes, petites mangeuses, et qui trouvent toujours le temps long à table, parce que c'est le lieu où l'on s'occupe le moins d'elles, doivent être bannies de tout repas savant et solide. Mais, dans le cours ordinaire de la vie, particulièrement dans les soupers, où l'on prise plus ce qui entoure la table que ce qui la couvre, elles seront toujours les bienvenues. » 

Quelque huit siècles après, les injonctions ont pris d’autres formes, plus insidieuses. Mais la surveillance est toujours là. À l'extérieur, et en nous-mêmes. Dans 80% des cas, les TCA (Troubles du Comportements Alimentaires) sont vécus par des femmes

La faim, c’est révolutionnaire !

Alors bien sûr, ce qui va suivre est facile à dire quand on n'est pas happée par une maladie, Loin de moi l’idée d’ajouter une énième injonction comme si “aller mieux” dépendait uniquement de nous. Voyez-y plutôt une douce invitation : 
N’ayons plus peur de prendre de la place, par nos corps parfois, par nos voix toujours. 
N’ayons pas peur de rire gras ou de se caresser le ventre après un bon repas. 
N’ayons plus peur de trop manger, d’en vouloir plus. 
Dans nos assiettes, dans nos idées, dans nos projets : 
N’ayons plus peur d’avoir faim. 

Clémentine Buisson

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Par Curiosity Club

Française et britannique, femme, mère et amante, plume et cadre dirigeante, Julie aime les mots mais pas les cases étroites dans lesquelles on range les idées et les gens. Elle milite pour une intelligence plurielle, pour le droit à être plusieurs choses en même temps et considère la curiosité comme la plus belle des qualités. Pour Curiosity Club, elle partage des fragments de vie et pose des mots sur les déflagrations qui nous ébrèchent autant qu'elles nous grandissent. 

Ophélie est diplômée d’un PhD en philosophie et études de genre de l’université de Cornell (USA). Elle enseigne les humanités politiques et les questions de genre à Sciences-Po Paris. Son approche éclaire les sujets d’égalité F/H, d’inclusion et de leadership par les sciences humaines.

Valentine partage avec nous les 10 ans qu’elle a passé sur le terrain à parcourir les zones de conflits pour faire respecter le « droit de la guerre » et améliorer les conditions des civils souffrant d'années de conflits. De la gestion du risque et de la peur à l’exploitation de ses forces en passant par l’adaptation à son environnement et la négociation, vous n’êtes pas au bout de vos surprises. 

Philosophe de formation, Camille a travaillé comme chargée de recherches dans le milieu de l’innovation sociale, puis comme conseillère auprès d’un élu local. Elle écrit pour contribuer à la fabrique d'un monde pétri de moins d'inégalités - qu'elles soient sexistes, classistes, racistes, validistes. Ses domaines de prédilection ? L’égalité femmes-hommes, la justice sociale et le travail, la culture et le design.


Jeanne a étudié les lettres et le cinéma à Paris, Montréal et Rome. En 2024, elle s'est installée sur l'île de Groix pour reprendre la co-direction artistique du FIFIG, un festival de cinéma documentaire dédié à l'insularité. Elle travaille en parallèle sur ses propres projets de films documentaire et d'écriture.

Consultante et aujourd'hui journaliste, Clémentine s'intéresse notamment aux évolutions du monde du travail, aux questions de genre et d'égalité, et à l’écologie. Elle aime écrire sur l'actualité, les gens qu’elle rencontre ou pour détailler les pérégrinations de son cerveau.