Par Camille Lizop.
C’était un petit geste, rapide et discret. À 21h pétantes, nos téléphones sonnaient. Pas de coup de fil, juste une alerte quotidienne pour nous rappeler à notre fertilité. Le rituel commençait : une main dans le sac pour sortir notre plus belle pochette. Plaquette, gélule, pas besoin de verre d’eau. La liberté en comprimé, et la soirée continuait.
Je dois dire que ce geste produisait en moi une certaine fierté. Si j’étais en présence d’un homme au moment de gober la pilule, je ressentais un très léger malaise de son côté. Dans les grandes lignes, il comprenait l’idée, mais je voyais bien que quelque chose lui échappait. Est-ce que je devais la prendre tous les jours ? Tous les mois ? Pendant les règles ? Est-ce que ça coûtait cher ? Non contente de laisser planer un soupçon de mystère, j’effectuais ostensiblement le geste. C’était ma façon de performer la féminité. J’étais dans le camp des adultes, et cette petite pilule pleine de sous-entendus me faisait sentir puissante.
Les années ont passé et nous sommes nombreuses à avoir changé notre fusil d’épaule. Nous avons poussé les portes de nos gynécos pour leur demander de nous prescrire autre chose : “n’importe quoi, mais sans hormone”. Les nausées, les douleurs, les prises de poids, mais aussi les phlébites, les AVC et les cancers, ça allait bien deux minutes. La palette des effets secondaires était large et nous n’en voulions plus.
En parallèle, l’autrice Emma a popularisé le concept de charge mentale, en mettant au jour de façon implacable les mécanismes derrière l’inégale répartition des tâches du quotidien et, surtout, de leur anticipation. On parle désormais des inégalités de genre en termes de charge mentale, mais aussi de charge financière ou encore, en se plaçant du point de vue de l’inquiétude (le “worry gap”).
Inévitablement, la pilule contraceptive en a pris pour son grade, elle qui coche toutes les cases puisque : qui prend rendez-vous pour renouveler son ordonnance ? Qui doit anticiper pour avoir toujours sa petite pochette sous la main ? Qui subit les effets secondaires en tous genres ? Et enfin : qui paye ?
C’était les années 2010. Le trophée révolutionnaire des féministes soixante-huitardes n’avait plus le vent en poupe. C’était le revers de la médaille.
Camille Lizop
Ce texte est le premier d'une trilogie. Vous voulez lire le second épisode ? Il faudra patienter un peu, il arrivera début janvier dans votre boîte mail. D’ici là on vous souhaite de très bonnes fêtes de fin d’année ! Toute l’équipe Curiosity Club.
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