💌 La route et la ponceuse.

Par Jeanne Hardy.

Curiosity Club News
6 min ⋅ 18/09/2025

La route et la ponceuse. Qu’auraient en commun ces deux mots ? De ne pas être un domaine de connaissance pour les femmes ? Cliché évidemment. Néanmoins, en l’espace d’un week-end je me suis pris de plein fouet ce lieu commun réuni par un même concept : Le mansplaining.

Le mansplaining contraction de man (homme) et de explain (expliquer), ou mecsplication en français, consiste, pour un homme, à expliquer quelque chose à une femme en supposant d’emblée qu’il est le détenteur du savoir et qu’elle est ignorante. L’expression a été inventée par Rebbeca Solnit dans son livre : Ces hommes qui m’expliquent la vie. Dans cet ouvrage, elle tire le fil de l’expression en démontrant que les mots sont le pouvoir et qu’il s’agit d’un comportement de plus, illustrant les mécanismes de domination masculine. L’homme est postulant, il remplit l’espace de la conversation, il sait. Et le mansplaining est sournois car il s’immisce dans la petite brèche de la légitimité et du manque de confiance en soi.

Personnellement, je dois avouer que c’est assez systématique, quel que soit le domaine, quand un homme tente de m’expliquer quelque chose, ça me crispe. Peu importe qu’il y soit un proche ou un inconnu. Et l’idée même de demander une explication à un homme me coûte énormément. C’est déjà désagréable de sentir qu’on ne sait pas quelque chose, alors se le faire expliquer par un homme aie, aie, aie que c’est dur.

C’est assez triste d’en être arrivé là mais il faut bien le dire :

La plupart du temps parce que le ton est condescendant ou directeur ou dominant.
Parce qu’ils nous font nous sentir demandeuses ou ignorantes.
Parfois même un peu bêtes.
Parce qu’ils se positionnent en sachant, en postulant.

Evidemment « Not all men ».

Je confesse que lorsqu’une femme m’explique quelque chose ou tente de me montrer un geste, ma crispation n’est pas du tout systématique. Elle existe évidemment si le ton est méprisant. Le problème avec les hommes c’est la récurrence de ces situations. Autant de remarques et de reprises indésirables qui peuvent surgir dans un tas de contextes. Et les exemples ne manquent pas. Ce week end, justement : l’histoire de la route et de la ponceuse.

La route.
J’avais prévu de rendre visite à une copine, mais la veille, dans un geste brusque et en moins de temps qu’il n’en fallait pour dire oups, je faisais tomber mon téléphone par terre, maintenant inutilisable. Sans portable, le constat s’imposa avec stress - j’allais devoir traverser la Bretagne seule et sans GPS. Je suis d’une génération qui n’a pas appris à se déplacer sans GPS. L’idée m’a traversée d’annuler ce périple, mais assez vite je me suis sentie ridicule de renoncer à ce week-end pour un téléphone. Néanmoins cela me généra un stress évident. Stress décuplé par la non-compréhension des hommes autour de moi qui trouvaient que ce n’était pas vraiment un sujet, même facile avec de l’organisation. « Il faut juste suivre les panneaux ! Comment faisaient-ils à l’époque ? ». Les explications étaient utiles, évidemment, mais le ton me renvoyait à ma propre faiblesse : mon manque de confiance évident à prendre la route sans bouée de secours. Finalement tout s’est bien passé, j’ai appris à bien lire les panneaux, me concentrer, et je n’’étais pas peu fière en arrivant de ma performance. Car oui, vu l’état de stress dans lequel cela m’a plongé, on peut parler de performance.

La ponceuse.
Arrivée chez mon amie, nous décidons de nous lancer dans le ponçage de la future commode du bébé en route. Assumant notre ignorance en termes de ponceuse électrique, nous nous sommes faites conseillées par son copain. Un peu cliché, je sais. Nous partons donc, avec assurance, à la recherche d’une ponceuse excentrique. Lorsque tout à coup, à l’approche du rayon outillage, un vendeur non sollicité se dresse devant nous. Ne négligeons pas les vendeurs des magasins de bricolage, ils détiennent une sacrée palme d’or des mecxplications condesendantes. « Je peux vous aider ? » Nous reformulons notre recherche pour qu’il nous montre l’objet en question, mais la situation devait être un trop beau cadeau pour lui : l’occasion d’une belle leçon. Etait-ce drôle pour lui de voir deux femmes chercher une ponceuse excentrique ? Il n’a pas pu s’empêcher de nous corriger. « Ce n’est pas du tout ça que vous cherchez. Vous feriez mieux d’acheter une ponceuse triangulaire. En plus ça ressemble à un fer à repasser ». Rire.

Ça faisait beaucoup pour un même week-end.

Conclusion : Les hommes apprennent-ils quelque chose des femmes ? L’admettent-ils publiquement ? Je réalise que rarement un homme (aucun ?) de mon entourage ne m’a demandé de lui expliquer quelque chose, lui montrer un geste que je savais faire. Normal que cela soit désagréable de leur demander et d’écouter seulement leurs explications.

Que répondre aux hommes qui nous expliquent la vie ? Ne pas rester passive, s’affirmer, rappeler ses compétences, se ré-approprier les choses, etc. Oui mais parfois la lassitude laisse la place à tout cela. Je n’ai pas envie envie de dresser la liste des comportements qu’il faudrait mettre en place pour faire face aux leçons masculines car le changement doit venir de l’autre camp. L’encouragement. La bienveillance. L’empathie. La douceur. L’égalité dans la discussion. Voilà tout ce que j’ai appris en deux ans de travail entourée de femmes. Je n’ai aucun problème à demander de l’aide ou une explication à mes collègues car je sais que je ne lirai aucun agacement dans leurs yeux, aucune impatience, aucun jugement. Mes questions seront aussi une porte ouverte à leurs futures interrogations et leurs réponses se situeront au même niveau que mes questions. Voilà comment la communication entre hommes et femmes devrait également exister sans aucun mécanisme de domination.

Jeanne Hardy

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Française et britannique, femme, mère et amante, plume et cadre dirigeante, Julie aime les mots mais pas les cases étroites dans lesquelles on range les idées et les gens. Elle milite pour une intelligence plurielle, pour le droit à être plusieurs choses en même temps et considère la curiosité comme la plus belle des qualités. Pour Curiosity Club, elle partage des fragments de vie et pose des mots sur les déflagrations qui nous ébrèchent autant qu'elles nous grandissent. 

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