Par Pauline Tremsal.
Et si on arrêtait de confondre temps libre et divertissement ?
Septembre. Les enfants reprennent l’école, on les inscrit au foot, à la danse. Et nous, adultes responsables ? On retrouve nos classiques : boulot, salle de sport, et ce marathon du scroll infini.
Mais qui a dit que la rentrée des classes était réservée aux enfants ? Nous aussi, on pourrait s’offrir des “cours” — pour ne pas performer, mais pour nourrir nos esprits.
Soyons honnêtes : notre temps libre n’a jamais été aussi vaste… ni aussi malmené. On le gave de séries, de notifications, de pseudo-détente. Et si, à force de vouloir “se vider la tête”, on avait simplement oublié comment la remplir ?
Jamais nous n’avons eu autant de temps libre, et pourtant nous avons l’impression d’en manquer. La faute à l’économie de l’attention : chaque minute happée par une notification, un flux d’images. Résultat : nos cerveaux sont saturés mais pas nourris.
Et comme si ça ne suffisait pas, ce temps libre n’est pas le même pour tout le monde. En 2022, 68 % des femmes de 25-49 ans faisaient le ménage ou la cuisine chaque jour, contre 43 % des hommes. Près de la moitié s’occupent d’enfants ou de proches dépendants*. Le temps libre intellectuel des femmes ? Rongé, invisibilisé, dissous dans l’huile de friture et les lessives.
Alors, que pourrait-il être d’autre ? Le sociologue Jean-Miguel Pire propose de ressusciter un vieux concept latin : l’otium. Dans l’Antiquité, ce n’était pas du temps “à tuer”, mais du temps à habiter : réfléchir, débattre, nourrir son esprit.
Aujourd’hui, notre temps libre ressemble souvent à du fast-food pour le cerveau. L’otium, lui, serait une table généreuse : lente, féconde, où l’on apprend pour soi, sans objectif de carrière ni validation extérieure.
Ironie du sort : celles qui auraient le plus besoin de l’otium sont aussi celles qu’on a entraînées à s’en priver. Les femmes. Entre la charge mentale, la productivité qui nous pousse à tout rentabiliser, et les injonctions sociales à rester disponibles pour les autres, prendre une heure pour nourrir son cerveau, ça fait désordre.
Mais désordre ou pas, il y a toujours des failles où se glisser. Alors, concrètement, on fait quoi ? Bonne nouvelle : pas besoin de retourner à la fac. L’offre existe, foisonnante, souvent gratuite : conférences, rencontres d’auteurs, ateliers de conversations, débats publics, cafés philo, ciné-débats…
Vous voulez passer à l’action ? Voici un petit tour de France (non exhaustif) des endroits où faire respirer votre esprit.
Paris : Off Campus, Maison de la Conversation, Conscious.
Marseille : Opera Mundi, Friche Belle de Mai, Mucem.
Lyon : Bibliothèque municipale, Maison Pour Tous – Rancy, Collège Supérieur de Lyon.
Toulouse : Quai des Savoirs, Ombres Blanches, Les Abattoirs.
Et ailleurs : Nice (Vu pas vu), Nantes (Le Lieu Unique), Bordeaux (Librairie Mollat), Lille (L’hybride), Rennes (Les Champs Libres).
En ligne aussi : podcasts comme Vlan!, conférences virtuelles, universités populaires numériques.
Vous habitez ailleurs ? Fouillez les newsletters locales (mairie, bibliothèques, associations), scrutez les coins flyers des cafés et librairies, guettez Eventbrite, les agendas de Télérama ou Libération, ou encore la programmation des musées, théâtres et centres culturels. Et si vraiment vous ne trouvez rien, Google est votre allié : “conférence + [ville]”, “ciné-débat + [ville]”, “cercle de parole + [ville]”.
Finalement, on croit manquer de temps, mais ce qui nous échappe vraiment, c’est la permission de s’en accorder — et pour les femmes, elle est encore plus dure à conquérir. Apprendre à l’âge adulte, ce n’est pas un luxe : c’est une façon de reprendre la main sur son attention et sur sa liberté. Et si, au lieu de céder aux “bonnes résolutions” de rentrée, on choisissait la vraie désobéissance ? Pas se lever à 6h pour cocher une case de plus, mais se coucher trop tard parce qu’un texte nous a happés et qu’on a décidé que ce soir, notre cerveau valait plus qu’un réveil à l’aube.
Pour creuser le sujet :
- Jean-Miguel Pire, L'Otium du peuple. À la reconquête du temps libre (2024).
- Podcast L’art de l’attention — une conversation avec Jean-Miguel Pire.
- *Étude EIGE 2022 : la répartition des tâches domestiques continue d’engloutir le temps libre des femmes.
Pauline Tremsal
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