💌 Rencontres paysannes.

Par Clémentine Buisson.

Curiosity Club News
5 min ⋅ 30/10/2025

Cette année, j’ai quitté mon travail salarié pour tenter de vivre du journalisme (oui, j’ai le goût du risque). En parallèle, je mène un projet documentaire, @desmotsetdesliens. Ces derniers mois, je me suis donc rendue de fermes en fermes dans les campagnes françaises, pour donner un coup de main (faire du “Wwoofing”) et interviewer les paysannes qui me reçoivent. En juin, j’ai eu la chance de rencontrer Michelle et Jacky, agriculteurs retraités en Corrèze. Ils sont les témoins vivants des changements du monde agricole depuis les années 60 et des difficultés spécifiques aux femmes dans ce milieu. Voici quelques extraits de ma discussion avec Michelle. 

Michelle m’a très vite dit qu’elle aimait beaucoup le mot “agricultrice” parce qu’il faisait référence à une fonction à part entière. On comprend vite son attachement pour cette qualification. Le travail des femmes dans les exploitations agricoles tenues avec leur conjoint a en effet longtemps été invisibilisé. Pour me l’expliquer Michelle me partage cette anecdote en arborant un petit sourire : “À l’époque lorsqu’on était agricultrice, on devait indiquer “sans profession” sur les documents administratifs. Ça avait le don de m’agacer. Un jour, une dame m’a dit “Tu sais, moi, plutôt que d’écrire “SANS profession”, j’écris C.E.N.T professions, ça me semble beaucoup plus juste”. 

Il faudra attendre 1999 pour que les femmes bénéficient enfin d’un véritable statut, celui de conjointe collaboratrice…et 2006 pour qu’elles n'aient plus à obtenir au préalable l’accord de leur mari ! (Oui vous avez bien lu.) Derrière cet enjeu, un autre de taille se cache, celui de l’indépendance économique. Michelle le rappelle : “Les femmes étaient complètement soumises aux conditions financières du mari, ou des beaux-parents : pas de chéquier, pas de compte personnel.” 

Paysannes ou non, elles devront en effet attendre 1965 pour avoir le droit de disposer de leur argent. Michelle se remémore d’ailleurs les difficultés de sa propre mère : “Dans les années 60, mes parents avaient 40 ans et c’était encore mon grand-père qui tenait les cordons de la bourse. Le souhait de maman c’était d’avoir une machine à laver. Mais mon grand-père n’allait certainement pas lui donner de l’argent pour en acheter une. Alors elle a trouvé une astuce : se faire prélever sur ses allocations familiales. Le grand-père n’a rien pu dire car il n’y avait pas accès”. 

Dans ce contexte particulièrement difficile, les syndicats agricoles ont joué un rôle primordial. Michelle a insisté sur l’importance des commissions de femmes au sein des syndicats agricoles. “La commission féminine organisait des formations spécifiques pour les femmes. Au départ c’était surtout de la compatibilité parce que c’était la femme qui prenait le relais à ce niveau-là. Des techniciennes agricoles venaient aussi nous faire découvrir des façons modernes d’envisager nos exploitations. Par exemple avec la création des petits “ateliers” indépendants pour avoir une autonomie financière”. 

Certaines femmes ont donc monté des “ateliers” de petits élevages ou de cultures spécialisées, ce qui leur a permis de développer un revenu à elles. “Ça, ça a été permis par le syndicalisme féminin” conclut Michelle. 

Entre citadines et paysannes, il n’y a qu’un pas ? Ces quelques extraits de discussion permettent de se rappeler que peu importe les contextes et les milieux : la place des femmes a toujours été remise en question et leur rôle minimisé. Des années 60 à aujourd'hui, que l’on soit citadine ou paysanne, le fil rouge reste le même : maîtriser le contour de notre vie. 

Clémentine Buisson

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Française et britannique, femme, mère et amante, plume et cadre dirigeante, Julie aime les mots mais pas les cases étroites dans lesquelles on range les idées et les gens. Elle milite pour une intelligence plurielle, pour le droit à être plusieurs choses en même temps et considère la curiosité comme la plus belle des qualités. Pour Curiosity Club, elle partage des fragments de vie et pose des mots sur les déflagrations qui nous ébrèchent autant qu'elles nous grandissent. 

Ophélie est diplômée d’un PhD en philosophie et études de genre de l’université de Cornell (USA). Elle enseigne les humanités politiques et les questions de genre à Sciences-Po Paris. Son approche éclaire les sujets d’égalité F/H, d’inclusion et de leadership par les sciences humaines.

Valentine partage avec nous les 10 ans qu’elle a passé sur le terrain à parcourir les zones de conflits pour faire respecter le « droit de la guerre » et améliorer les conditions des civils souffrant d'années de conflits. De la gestion du risque et de la peur à l’exploitation de ses forces en passant par l’adaptation à son environnement et la négociation, vous n’êtes pas au bout de vos surprises. 

Philosophe de formation, Camille a travaillé comme chargée de recherches dans le milieu de l’innovation sociale, puis comme conseillère auprès d’un élu local. Elle écrit pour contribuer à la fabrique d'un monde pétri de moins d'inégalités - qu'elles soient sexistes, classistes, racistes, validistes. Ses domaines de prédilection ? L’égalité femmes-hommes, la justice sociale et le travail, la culture et le design.


Jeanne a étudié les lettres et le cinéma à Paris, Montréal et Rome. En 2024, elle s'est installée sur l'île de Groix pour reprendre la co-direction artistique du FIFIG, un festival de cinéma documentaire dédié à l'insularité. Elle travaille en parallèle sur ses propres projets de films documentaire et d'écriture.

Consultante et aujourd'hui journaliste, Clémentine s'intéresse notamment aux évolutions du monde du travail, aux questions de genre et d'égalité, et à l’écologie. Elle aime écrire sur l'actualité, les gens qu’elle rencontre ou pour détailler les pérégrinations de son cerveau.