Par Augustin Ruffat
Lui, c’est le Don Juan, le tombeur, le Casanova. Celui qui papillonne. Au pire, celui qui court les jupons.
Elle, c’est la fille facile, la traînée. Celle qu’on juge, qu’on pointe du doigt, dont on commente les tenues ou le comportement dit “volage”. Qu’on surnomme “Marie-couche-toi-là”.
Deux comportements similaires. Deux mêmes manières d’exprimer leur liberté. Et pourtant deux poids, deux mesures.
Ce que les sociologues appellent slutshaming c’est cette mécanique bien huilée : critiquer, humilier, essayer de faire taire une femme parce qu’elle vit, revendique ou simplement laisse transparaître sa sexualité. Peu importe d’ailleurs qu’elle soit réelle ou fantasmée, le jugement sera quoi qu’il arrive déclenché.
“Crier à la salope” n’est jamais anecdotique, et ce dès le plus jeune âge. On conditionne trop tôt les femmes à se restreindre ou se cacher: une lycéenne sur cinq a déjà été insultée ou rabaissée pour une tenue jugée “trop sexy” et 27 % des filles au lycée disent avoir subi des rumeurs sexuelles humiliantes. Pendant ce temps, les garçons, eux, déclarent être valorisés quand ils ont plusieurs partenaires. C’est même l’inverse qui se produit: un virginshaming qui couvre de honte un jeune homme inexpérimenté.
Un double standard qui devient une fabrique à honte. Une usine à isolement. Qui terrasse une estime de soi déjà fragile à cet âge-là. Mais aussi, très concrètement, qui génère du harcèlement scolaire, du cyberharcèlement et réduit considérablement la parole publique des femmes. Parce que quand on sait qu’on va être jugé, on se tait.
Ça n’a jamais été une question de moralité. C’est une question de pouvoir. Le slutshaming est un outil qui sert à contrôler la liberté des femmes. Il rappelle à chaque génération que la sexualité masculine doit être célébrée quand la féminine doit être contenue, punie ou cachée. Il réduit le champ des possibles : comment une femme s’habille, sort, vit sa vie amoureuse ou sexuelle.
Alors est-ce qu’on peut vraiment continuer à sourire des aventures du Dom Juan tout en fustigeant celles de la fille facile ? Le vent semble (enfin) en train de tourner.
Quand Vladimir Boudnikoff balance en story Instagram une supposée liste des conquêtes de son ex Aya Nakamura, c’est sur lui que tombe la vindicte populaire. Et c’est tant mieux. Parce que la honte doit s’inverser. Parce que le problème ce n’est pas la liberté des femmes. Le problème, c’est la société qui les enferme.
Hommes comme femmes, ne laissons plus jamais passer le slutshaming. À chaque fois qu’on le refuse, on fait un pas de plus vers l’égalité. Avec dans l’idée que le Don Juan et la fille facile cessent enfin d’être des personnages opposés et deviennent juste des humains libres.
Augustin Ruffat
Sources statistiques :
- Ifop, 2021
- HCE, 2018
- Observatoire national de la violence scolaire, 2020
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