💌 Prenez soin de vous.

Par Julie Allison.

Curiosity Club News
5 min ⋅ 26/06/2025

Il y a quelques jours, j’ai donné une conférence, à l’issue de laquelle Emmanuelle est venue me confier qu’elle avait travaillé douze ans dans un fonds d’investissement, avec une charge horaire très intense et des clients exigeants. Avant de se tourner vers un métier qu’elle désirait exercer depuis longtemps car il était porteur de sens... et d’y connaître un burn out.

C’est contre-intuitif mais bien plus fréquent qu’on ne le pense.

Et c’est assez logique quand on prend le temps d’y réfléchir un peu : les personnes qui s’engagent dans des voies susceptibles de donner du sens à leur métier sont plus souvent que les autres porteuses de valeurs fortes, d’une vision de ce qu’elles souhaitent changer dans le monde et de vécus personnels en résonance avec leur engagement.

Bien entendu, la notion de « sens » peut se présenter sous mille facettes: il peut s’agir de reprendre les rênes de l’entreprise créée par son grand-père, d'œuvrer à la suppression des microplastiques dans les produits cosmétiques ou encore de rejoindre une association de soutien aux enfants malades.

À première vue, on pourrait penser que ces métiers préservent justement du burn-out car ils confèrent au quotidien un sentiment d’utilité, de contribution sociale, loin des “bullshit jobs” (l’expression n’est pas de moi mais tirée du petit livre éponyme de David Graeber) qui offrent salaire en contrepartie d’une accumulation de tâches sans valeur pour la société, dont le seul intérêt est de... maintenir un salarié en emploi. David Graeber y détaille cinq catégories d’ « emplois à la con » dans lesquels je vous souhaite de ne pas vous reconnaître, du larbin au sbire en passant par le petit chef (vous savez, celui ou celle qui est payé pour surveiller des personnes déjà autonomes ? oui, vous ne voyez que trop bien).

Et pourtant.
Faire un burn out dans un métier intensément porteur de sens, c’est possible.
Dans des fonctions que l’on a désirées, choisies, et dans lesquelles on a envie de s’investir.

Le burn out survient quand les conditions horaires ou matérielles sont sous tension - et sur ce plan-là notre personnel soignant et nos enseignants sont des super-héroïnes (oui, héroïnes : on va considérer qu’avec plus de 90% de femmes dans le personnel infirmier et plus de 80% dans les effectifs enseignants en école élémentaire, le féminin l’emporte).

Mais aussi dans des environnements qui, sous le vernis de conditions de travail favorables, viennent mettre durement à l’épreuve les personnes engagées - indépendamment de leur genre d’ailleurs, car les cas de burn out sont en forte augmentation chez les hommes ces dernières années également.

D’abord parce que les conditions d’exercice de ces métiers, par nature dépendants du collectif, de l’obtention de budgets, de priorités contradictoires (“oui, bien sûr qu’on est 100% engagés pour l’égalité salariale, mais on ne peut pas se permettre de faire un rattrapage de salaire cette année”) ou d’agendas politiques placent souvent les personnes concernées dans une situation d’impuissance particulièrement douloureuse au regard des ressorts personnels qui les ont poussées à s’engager.

Ces métiers-là sont aussi plus vulnérables au « rôle engulfement », littéralement «engloutissement par le rôle» de personnes identifiées pour leur engagement, qui se voient parfois réduites à cette seule étiquette et font tout pour en porter les couleurs avec exemplarité.

Le risque de tomber malade est d’autant plus grand que notre identité est surinvestie au même endroit : en cas de résistances internes à l’entreprise, de budgets annulés, de management inadapté ou tout simplement de progrès bien trop lents, c’est toute l’estime de soi qui est ébranlée. Cela arrive aussi aux mères dont l’identité personnelle peut se retrouver réduite à la portion congrue tant leur rôle (prenant!) auprès de leurs enfants est mis en avant.

Faut-il pour autant renoncer à s’engager ?
Préférer l’un des bullshits jobs décrits par David Graeber, car au moins on pourra jouer la carte de la démission silencieuse sans se laisser trop affecter ?

Fort heureusement, non.
Ces métiers qui font sens sont aussi ceux des plus intenses vibrations, des plus grands bonheurs et des plus belles victoires,
Quand, à force de persévérance, le changement opère, on change des vies. Celles d’une personne malade, d’une classe de CM2 ou de milliers de consommateurs protégés contre les micro-plastiques.

Mais si vous êtes concerné(e) - pensez à mettre votre masque à oxygène en premier.

Spéciale dédicace à ma maman (ancienne enseignante, ça ne s’invente pas) qui m’a écrit cette semaine « bravo pour tout ce que tu fais au boulot et pour l’énergie que tu dédies à tes enfants en cette fin d’année scolaire - ensuite tu auras la conscience tranquille et tu pourras t’occuper de toi. »

Non maman.
Ce n’est pas « ensuite» que je vais m’occuper de moi.
C’est avant, pendant et après. Matin, midi et soir.


Prendre soin de soi n’est pas un aveu de faiblesse, c’est un acte militant.

Julie Allison

...

Curiosity Club News

Curiosity Club News

Par Curiosity Club

Française et britannique, femme, mère et amante, plume et cadre dirigeante, Julie aime les mots mais pas les cases étroites dans lesquelles on range les idées et les gens. Elle milite pour une intelligence plurielle, pour le droit à être plusieurs choses en même temps et considère la curiosité comme la plus belle des qualités. Pour Curiosity Club, elle partage des fragments de vie et pose des mots sur les déflagrations qui nous ébrèchent autant qu'elles nous grandissent. 

Ophélie est diplômée d’un PhD en philosophie et études de genre de l’université de Cornell (USA). Elle enseigne les humanités politiques et les questions de genre à Sciences-Po Paris. Son approche éclaire les sujets d’égalité F/H, d’inclusion et de leadership par les sciences humaines.

Valentine partage avec nous les 10 ans qu’elle a passé sur le terrain à parcourir les zones de conflits pour faire respecter le « droit de la guerre » et améliorer les conditions des civils souffrant d'années de conflits. De la gestion du risque et de la peur à l’exploitation de ses forces en passant par l’adaptation à son environnement et la négociation, vous n’êtes pas au bout de vos surprises. 

Philosophe de formation, Camille a travaillé comme chargée de recherches dans le milieu de l’innovation sociale, puis comme conseillère auprès d’un élu local. Elle écrit pour contribuer à la fabrique d'un monde pétri de moins d'inégalités - qu'elles soient sexistes, classistes, racistes, validistes. Ses domaines de prédilection ? L’égalité femmes-hommes, la justice sociale et le travail, la culture et le design.


Jeanne a étudié les lettres et le cinéma à Paris, Montréal et Rome. En 2024, elle s'est installée sur l'île de Groix pour reprendre la co-direction artistique du FIFIG, un festival de cinéma documentaire dédié à l'insularité. Elle travaille en parallèle sur ses propres projets de films documentaire et d'écriture.

Consultante et aujourd'hui journaliste, Clémentine s'intéresse notamment aux évolutions du monde du travail, aux questions de genre et d'égalité, et à l’écologie. Elle aime écrire sur l'actualité, les gens qu’elle rencontre ou pour détailler les pérégrinations de son cerveau.