Bella Ciao.

Par Julie Allison

Curiosity Club News
3 min ⋅ 14/03/2024


Quelques notes de piano, une voix qui s’élève. À l’écran, une femme jeune, au regard souligné d’un trait de khôl aux contours estompés. Elle interprète Bella Ciao, immobile face caméra, le visage encadré par sa chevelure brune et bouclée. Le timbre est juste, la voix enchanteresse. Elle vibre de plus en plus fort, envahissant la pièce. 

Cela pourrait être une vidéo de candidate à l’émission The Voice. On sourirait, séduits par l’interprétation, émus par tant de perfection.

Mais les frissons qui nous traversent sont empreints de douleur et de rage impuissante : la jeune femme chante en persan, un chant attribué aux résistants italiens, en lutte contre le fascisme durant la seconde guerre mondiale.

« O belle, au revoir ».

On ne connaît ni son nom, ni son âge. La vidéo est apparue sur Twitter, visionnée des millions de fois en quelques heures, érigée en symbole du courage

Le courage de ces femmes qui osent dénoncer un régime qui les oppresse. 

Des femmes prêtes à tout pour que la violence cesse. Cette violence qui a emporté Mahsa Amini, 22 ans, battue à mort par la police des mœurs pour ne pas s’être couvert les cheveux correctement. Et il y a Hadis Najafi, 20 ans, qui adorait danser, tuée par six balles en pleine rue.

Des dizaines de femmes, d’enfants, d’hommes également, dont le seul crime est d’avoir dénoncé une emprise intolérable sur les vies, une contrainte inacceptable des corps. 

« Femme, vie, liberté » scandent les femmes en Iran, armées seulement de la paire de ciseaux qui viendra saccager leur chevelure, et d’un briquet pour brûler leur foulard. 

Leur courage est au-delà des mots. Elles s’exposent chaque jour à la mort en osant exister. Et lorsqu’elles protestent, c’est en s’attaquant à leur propre corps. On leur répond par des gaz lacrymogènes et par des tirs à balles réelles. 

Bella Ciao conte l’histoire d’un partisan italien qui demande à sa bien-aimée de déposer une fleur sur sa tombe avant de clamer qu’il est mort pour la liberté. C’est un chant de lutte contre le système, remis au goût du jour par la série télévisée Casa da Papel. Une invitation à la révolution que l’on aurait aimé réserver aux scènes de violence réalisées par des acteurs en combinaison rouge dans des décors en carton pâte.

La voix puissante de la résistance iranienne s’est propagée jusque dans les tranchées en Ukraine, où deux femmes en treillis se sont filmées, mitraillettes en travers des genoux, entonnant d’une voix calme ce « O Bella ciao » qui contient tout. 

Elle résonne à Moscou où les femmes risquent la prison pour avoir dénoncé une guerre absurde.

Elle vit en sourdine à Kaboul où, les yeux grillagés sous la burqa, elles tentent d’infléchir la loi des talibans qui les prive d’accès à l’éducation. 

Elle vibre aux Etats-Unis et dans tant d’autres pays - à commencer peut être par l’Italie - où le droit à l’avortement est menacé et la condition des femmes avec lui.

Dans tant de régions du monde, les femmes ont avant tout le droit de voir leur vie gouvernée par les autres. 

Alors, ayons le courage d’entonner des « O Bella Ciao » à l’infini, de revendiquer notre liberté et d’exercer nos droits. Le droit de refuser la contrainte, les violences, l’absence de considération. Le droit de choisir, sa trajectoire comme ses vêtements, de donner la vie ou de s’en abstenir. Le droit de voir les choses autrement et de rêver bien plus grand.

Occupons l’espace, faisons entendre nos voix. Pour que plus jamais des partisans de la liberté ne finissent enterrés à l’ombre d’une belle fleur.


À nous regarder, ils s’habitueront.

Julie Allison

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Par Curiosity Club

Française et britannique, femme, mère et amante, plume et cadre dirigeante, Julie aime les mots mais pas les cases étroites dans lesquelles on range les idées et les gens. Elle milite pour une intelligence plurielle, pour le droit à être plusieurs choses en même temps et considère la curiosité comme la plus belle des qualités. Pour Curiosity Club, elle partage des fragments de vie et pose des mots sur les déflagrations qui nous ébrèchent autant qu'elles nous grandissent. 

Ophélie est diplômée d’un PhD en philosophie et études de genre de l’université de Cornell (USA). Elle enseigne les humanités politiques et les questions de genre à Sciences-Po Paris. Son approche éclaire les sujets d’égalité F/H, d’inclusion et de leadership par les sciences humaines.

Valentine partage avec nous les 10 ans qu’elle a passé sur le terrain à parcourir les zones de conflits pour faire respecter le « droit de la guerre » et améliorer les conditions des civils souffrant d'années de conflits. De la gestion du risque et de la peur à l’exploitation de ses forces en passant par l’adaptation à son environnement et la négociation, vous n’êtes pas au bout de vos surprises. 

Philosophe de formation, Camille a travaillé comme chargée de recherches dans le milieu de l’innovation sociale, puis comme conseillère auprès d’un élu local. Elle écrit pour contribuer à la fabrique d'un monde pétri de moins d'inégalités - qu'elles soient sexistes, classistes, racistes, validistes. Ses domaines de prédilection ? L’égalité femmes-hommes, la justice sociale et le travail, la culture et le design.


Jeanne a étudié les lettres et le cinéma à Paris, Montréal et Rome. En 2024, elle s'est installée sur l'île de Groix pour reprendre la co-direction artistique du FIFIG, un festival de cinéma documentaire dédié à l'insularité. Elle travaille en parallèle sur ses propres projets de films documentaire et d'écriture.

Consultante et aujourd'hui journaliste, Clémentine s'intéresse notamment aux évolutions du monde du travail, aux questions de genre et d'égalité, et à l’écologie. Elle aime écrire sur l'actualité, les gens qu’elle rencontre ou pour détailler les pérégrinations de son cerveau.