Signaux faibles.

Par Julie Allison

Curiosity Club News
2 min ⋅ 14/03/2024


Hébétée. C’est ce qu’Emma ressent ce jeudi matin en reposant son vélo à la borne libre-service. Elle vient de repérer sur le garde-boue un large autocollant à pictogrammes colorés, « Tiens, c’est amusant, Vélib lance une campagne à destination des enfants. ». À y regarder de plus près, pas du tout. Comme six mille vélos parisiens, celui d’Emma porte un autocollant représentant un embryon, un foetus, un bébé à quatre pattes puis un enfant à vélo, surmonté du message « Et si vous l’aviez laissé vivre ? ».

Abasourdies. C’est ce qu’éprouvent Claire, Zoé et Anissa, trois copines réunies pour suivre la montée des marches au festival de Cannes. L’influenceuse Lena Situations vient d’apparaître dans une robe vintage Vivienne Westwood, déclenchant sur les réseaux une vague obscène de commentaires grossophobes. Quelques jours avant, c’est une pluie d’insultes arbitraires qui s’est abattue sur la toute jeune Anna Biolay. Dans un cas comme dans l’autre, les jeunes femmes n’ont fait qu’apparaître sur le tapis rouge. Rien d’autre.

Troublée. C’est ce qui traverse Myriam, quatorze ans, en découvrant sur TikTok les centaines de vidéos associées au hashtag #SubwayShirt, cette ample « chemise de métro » que les jeunes femmes recommandent désormais de porter pour camoufler leur tenue vestimentaire dans les transports. L’objectif ? Se soustraire aux regards insistants, échapper aux remarques sexistes et aux gestes déplacés. S’invisibiliser pour rester en sécurité.

Les pouvoirs publics réagissent, fort heureusement. Ils condamnent sans appel la campagne d’affichage sauvage sur les vélos d’un collectif proche de l’extrême-droite qui milite contre le droit à l’avortement. Ils dénoncent la lâcheté de ceux et de celles qui prétendent porter un jugement sur le corps des autres depuis les profondeurs de leur canapé. Ils parlent (beaucoup) d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution, lancent à grands renforts de flyers et de relais médiatiques une opération pour la sécurité des femmes dans l’espace public. Et depuis le 1er avril, l’outrage sexiste « aggravé » est un délit qui expose (en théorie) le contrevenant à 3750 euros d’amende.

Mais Emma n’a rien dit après avoir reposé son vélo, choquée d’avoir véhiculé contre son gré une campagne niant le droit des femmes à disposer de leur corps.

Claire et Anissa vont bien mais Zoé, dont les hanches se sont arrondies ces derniers mois, s’est mise à douter de sa valeur et de son poids.

Quant à Myriam, elle ne choisit plus dans sa penderie que des vêtements amples pour se rendre au collège, car « on ne sait jamais ».

On ne sait jamais, en effet, d’où viendra le coup suivant. Un fait d’actualité en chasse un autre et les signaux faibles s’accumulent, insidieux, insistants. Le risque est grand d’adapter sa morphologie ou son comportement au lieu de repousser ceux qui prétendent s’approprier le corps des femmes et leurs droits en même temps.

Vigilantes. C’est ce qu’il nous faut rester. Pour ne jamais s’habituer à la violence, à la lâcheté,  aux jugements de valeur et aux commentaires déplacés. Pour vivre libres et engagées.

Julie Allison

Curiosity Club News

Par Curiosity Club

Française et britannique, femme, mère et amante, plume et cadre dirigeante, Julie aime les mots mais pas les cases étroites dans lesquelles on range les idées et les gens. Elle milite pour une intelligence plurielle, pour le droit à être plusieurs choses en même temps et considère la curiosité comme la plus belle des qualités. Pour Curiosity Club, elle partage des fragments de vie et pose des mots sur les déflagrations qui nous ébrèchent autant qu'elles nous grandissent. 

Ophélie est diplômée d’un PhD en philosophie et études de genre de l’université de Cornell (USA). Elle enseigne les humanités politiques et les questions de genre à Sciences-Po Paris. Son approche éclaire les sujets d’égalité F/H, d’inclusion et de leadership par les sciences humaines.

Valentine partage avec nous les 10 ans qu’elle a passé sur le terrain à parcourir les zones de conflits pour faire respecter le « droit de la guerre » et améliorer les conditions des civils souffrant d'années de conflits. De la gestion du risque et de la peur à l’exploitation de ses forces en passant par l’adaptation à son environnement et la négociation, vous n’êtes pas au bout de vos surprises. 

Philosophe de formation, Camille a travaillé comme chargée de recherches dans le milieu de l’innovation sociale, puis comme conseillère auprès d’un élu local. Elle écrit pour contribuer à la fabrique d'un monde pétri de moins d'inégalités - qu'elles soient sexistes, classistes, racistes, validistes. Ses domaines de prédilection ? L’égalité femmes-hommes, la justice sociale et le travail, la culture et le design.


Jeanne a étudié les lettres et le cinéma à Paris, Montréal et Rome. En 2024, elle s'est installée sur l'île de Groix pour reprendre la co-direction artistique du FIFIG, un festival de cinéma documentaire dédié à l'insularité. Elle travaille en parallèle sur ses propres projets de films documentaire et d'écriture.

Consultante et aujourd'hui journaliste, Clémentine s'intéresse notamment aux évolutions du monde du travail, aux questions de genre et d'égalité, et à l’écologie. Elle aime écrire sur l'actualité, les gens qu’elle rencontre ou pour détailler les pérégrinations de son cerveau.