💌 Cette chose qui arrive sans prévenir.

Par Jeanne Hardy.

Curiosity Club News
7 min ⋅ 20/03/2025

C’est arrivé sans crier gare, je ne m’y attendais pas. Disons plutôt que si, je m’y attendais, mais je ne l’ai pas vu venir. D’un coup, ce qui était de l’ordre d’une vague nébuleuse au loin, est devenu un sujet concret qui a envahi mon quotidien. Je dirai même palpable. Il s’est rapproché progressivement de moi. Et puis tout un vocabulaire a arrosé les conversations. Grossesse. Allaitement. Accouchement. Césarienne. Congés paternités. Etc. etc. etc. Les dîners ont changé un petit peu et les sorties aussi. Désormais, je vois des copines au parc pour balader une poussette et on s’assoit en terrasse pour l’heure de la compote. L'happy hour des bébés.

Je savais que la maternité existait, mais c’était celle des femmes adultes. J’ai 26 ans, je pensais avoir encore quelques années de répit avant que cela ne devienne un sujet. Pas tellement un sujet pour moi, mais un sujet autour de moi.

Lorsque je suis prise dans des grandes réflexions existentielles, je repense encore une fois à ma bible d’histoires - mes quatre années de baby-sitting avec les deux sœurs. La première fois que l’on s’est rencontrées, les parents nous ont introduites : les filles. Jeanne. Jeanne. Les filles. Timide approche entre nous, on s’appréhende les unes les autres avec des questions de bases pour briser la glace. Les petites filles peuvent être impressionnantes surtout quand elles vous font face.

- Alors vous avez quels âges ?
- 6 ans, 8 ans. Et toi ?
- 22 ans
- Ha, t’as des enfants alors ?
- Euh... Non pas du tout.

On pourrait réagir à cette absurde remarque. Dès lors qu’on a trois cheveux blancs, une carrière de baby-sitter qui suggère que l’on a passé les 16 ans et que l’on repart avec un billet de 20 euros après les avoir couchées, on semble donc perçue comme une mère possible pour les enfants. Je passe sur tout ce que cela dit des biais déjà bien installés dès l’enfance car je repense surtout à mon complément de réponse ce jour-là.

- Euh... Non pas du tout. J’ai pas encore l'âge. Je ne paye pas d'impôts. (Je ne sais pas pourquoi pas, j’ai toujours associé la condition d’adulte à celle de payer des impôts.).

Quelle drôle de réponse. (On passera là aussi sur leurs regards perplexes.) car ce n’est surtout pas une question d'âge ! Certaines se sentent évidemment prêtes dès 22 ans pour cela et ma réponse ne laissait aucune place à la diversité des désirs de maternité. Et puis surtout elle laissait penser qu’il s’agit d’un passage obligé. Qu’à un moment, il faudra bien s’y mettre. La bonne réponse aurait peut-être été de dire que je n’en avais pas envie pour le moment ou que je n’étais pas à un stade de ma vie où j’y pense. Et que de toute façon, je n'étais pas obligé d’en avoir, et d’en avoir envie. Ou plutôt, qu’est ce que c’est que cette injonction ? Vous avez 6 ans et vous parlez déjà comme des petits êtres patriarcaux ? L’épanouissement des femmes ne passe pas par un soi-disant accomplissement maternel nécessaire ok, alors du calme les filles. Enfin sans s'énerver bien sûr. Ou avec pédagogie en leur proposant d’ouvrir le dictionnaire au terme “libre arbitre”, pour le comprendre ensemble. Car on le sait bien, la fameuse question d’avoir des enfants ou pas est intrinsèquement liée à la vision que nos sociétés ont de la vie et de nos vies de femmes.

Bon, cela aurait été peut-être un peu long, pour des petites qui étaient déjà reparties le nez dans leur construction avant même que j’ouvre la bouche pour leur répondre.

Voilà où j’en étais à peu près resté avec la maternité après un quart de vie. Et puis un jour, votre plus vieille copine vous annonce sa grossesse. Celle que vous connaissez depuis votre propre naissance. Celle avec qui vous jouiez justement à des histoires de femmes qu’on invente dans la cour de récréation, rarement celles de mère. Plutôt à être des stars en voyage ou des cheffes d’entreprises débordées. Celle avec laquelle vous vous construisez comme femme, avec laquelle vous faites des choix de vies opposés mais qui reste par dessus tout votre amie. Celle qui est vraiment devenue une cheffe d’entreprise débordée. (Je ne suis toujours pas une star en voyage.) Celle pour qui vous savez depuis longtemps qu’elle sera la première car elle porte cet élan et ce désir de maternité depuis un bon moment. Mais bon, ça chamboule tout de même de voir sa toute première copine enceinte.

Et puis, progressivement, les amies, les collègues, celles qui viennent d’avoir trente ans, celles qui les auront cette année te disent que ce cap d’âge s’associe un peu inévitablement à celui de la maternité. Celles qui ont passé les 35 ans pensent à faire congeler leurs ovocytes. J’ai toujours trouvé que c’était à travers les copines que l’on avançait dans notre manière de nous construire en tant que femme, et sur ce point je le pense encore plus. Comme d’autres copines, on se demande à quel point nos points de vue sur la question sont intimes ou situés. Suis-je moi-même émancipée de cette injonction à la maternité ? Dois-je vraiment payer des impôts avant de commencer à penser à des enfants ? Je suis bien contente que ces questionnements existent entre nous. Avant les années 60-70, la question du désir d'enfant n'existait pas vraiment j’imagine. En-tout-cas pas de la manière dont elle se pose entre copines aujourd’hui autour d’un verre ou entre deux arrêts de métro. C'est évidemment le développement de la contraception et de l'IVG qui nous a donné la possibilité de décider d'avoir ou non des enfants et de remettre en cause le mythe de la maternité comme accomplissement et épanouissement suprême.

Ainsi, ces derniers mois dans le monde des bébés, ont eu le mérite de me faire voir les choses un peu différemment. En regardant le ventre de ma copine d’enfance, je crois que ce n'est pas tant le fait d’avoir un enfant qui m’impressionne que celui d’être mère. Et je comprends alors pourquoi il faut peut-être savoir remplir une feuille d'impôts avant de se lancer dans la gestion de quelqu’un d’autre que soi. Mais les choses vont plus vite qu’on ne l’anticipe parfois. Car durant ces neufs prochains mois pendant lesquels mon amie va se préparer à devenir mère, je me prépare moi aussi. Car ça y est, à la fin de l’année, je pourrais remplir ma première feuille d'impôt ! On est finalement devenues adultes en même temps.

Jeanne Hardy

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Française et britannique, femme, mère et amante, plume et cadre dirigeante, Julie aime les mots mais pas les cases étroites dans lesquelles on range les idées et les gens. Elle milite pour une intelligence plurielle, pour le droit à être plusieurs choses en même temps et considère la curiosité comme la plus belle des qualités. Pour Curiosity Club, elle partage des fragments de vie et pose des mots sur les déflagrations qui nous ébrèchent autant qu'elles nous grandissent. 

Ophélie est diplômée d’un PhD en philosophie et études de genre de l’université de Cornell (USA). Elle enseigne les humanités politiques et les questions de genre à Sciences-Po Paris. Son approche éclaire les sujets d’égalité F/H, d’inclusion et de leadership par les sciences humaines.

Valentine partage avec nous les 10 ans qu’elle a passé sur le terrain à parcourir les zones de conflits pour faire respecter le « droit de la guerre » et améliorer les conditions des civils souffrant d'années de conflits. De la gestion du risque et de la peur à l’exploitation de ses forces en passant par l’adaptation à son environnement et la négociation, vous n’êtes pas au bout de vos surprises. 

Philosophe de formation, Camille a travaillé comme chargée de recherches dans le milieu de l’innovation sociale, puis comme conseillère auprès d’un élu local. Elle écrit pour contribuer à la fabrique d'un monde pétri de moins d'inégalités - qu'elles soient sexistes, classistes, racistes, validistes. Ses domaines de prédilection ? L’égalité femmes-hommes, la justice sociale et le travail, la culture et le design.


Jeanne a étudié les lettres et le cinéma à Paris, Montréal et Rome. En 2024, elle s'est installée sur l'île de Groix pour reprendre la co-direction artistique du FIFIG, un festival de cinéma documentaire dédié à l'insularité. Elle travaille en parallèle sur ses propres projets de films documentaire et d'écriture.

Consultante et aujourd'hui journaliste, Clémentine s'intéresse notamment aux évolutions du monde du travail, aux questions de genre et d'égalité, et à l’écologie. Elle aime écrire sur l'actualité, les gens qu’elle rencontre ou pour détailler les pérégrinations de son cerveau.