Par Julie Allison
« Mon gros point faible, c’est le réseau », me glisse Sarah. « Vraiment, je suis nulle pour ça. Je n’arrive pas à aborder les gens, je ne fais aucun suivi après les rencontres, c’est dramatique. Je n’ai pas les codes, je n’y arrive pas. »
Pas les codes ? Pour développer un réseau professionnel ?
Arrêtons-nous un instant là-dessus si vous le voulez bien. Le mot « réseau» nous vient du latin rétis, c’est à dire « filet, ouvrage formé d’un entrelacement de fils.» Autrement dit, un réseau professionnel, c’est un entrelacement de relations que l’on tisse au fil du temps. Du lien donc. Entre des personnes.
Alors j’aimerais savoir pourquoi tant de femmes, tous âges confondus, restent convaincues qu’elles ne savent pas créer ni entretenir un réseau. Au fil des années j’ai entendu cette inquiétude dans la bouche d’étudiantes tétanisées en recherche d’un stage, mais aussi de créatrices d’entreprises aguerries, de cadres travaillant dans des entreprises de plusieurs milliers de salariés, de dirigeantes mal à l’aise dans des évènements dominés par les costumes-cravates.
Pourquoi, alors que les femmes prennent si souvent à leur charge l'intégralité du lien social dans le couple, se pensent-elles en difficulté pour construire un réseau professionnel ?
Elles ne se posent pas deux fois la question de savoir si elles vont être capables de trouver pour la famille un médecin, un professeur de musique ou un acupuncteur qualifié. Elles organisent les dîners entre amis, les mariages, les baptêmes, dénichant à chaque fois les bons prestataires, jonglant entre les recommandations et les découvertes. Qui dans le couple appelle les tantes une par une chaque mois de janvier pour leur souhaiter la bonne année ? Qui se souvient des anniversaires à souhaiter ? Qui prend des nouvelles des amis communs ?
La capacité à « faire lien » des femmes n’est plus à prouver.
Pourtant les inégalités sont bien mesurables en terme de réseau professionnel ; une étude Linkedin diffusée en 2020 indiquait que les femmes françaises ont un réseau professionnel en moyenne 21% moins solide que leurs homologues masculins. La différence est plus saillante encore au Royaume-Uni, aux USA et en Australie (- 30%), aux Pays-Bas (- 35%) et à Singapour (- 38%).
Quand on sait que plus d’un quart des recrutements se font par cooptation (et jusqu’à 70% dans les professions plus qualifiées), on se dit que Sarah est désavantagée.
En creusant un peu, comme souvent, toutes les compétences sont là mais le frein est dans la tête : Sarah se demande, comme tant d’autres, ce qu’elle peut bien apporter, comment avoir de la valeur ajoutée. Elle a le sentiment de ne pas avoir grand-chose à offrir, elle est habitée par le doute bien plus souvent que ses copains du bureau. Et pour couronner le tout, elle fuit les salons professionnels, les afterworks et les cocktails, ces moments où il faut faire son “elevator pitch” en trente secondes tout en dégainant smartphone ou cartes de visite.
Mais ces codes-là, les grandes claques dans le dos, coupe de champagne ou chope de bière à la main, les échange de propos convenus avant de plonger droit dans le business, qui nous oblige à les respecter ?
Rien. Personne.
Ce n’est pas parce que les hommes ont codifié leur façon de créer un réseau professionnel que les femmes n’ont pas le droit d’inventer la leur. Il y a fort à parier, d’ailleurs, que de nombreux hommes rêvent de s’en émanciper.
La bonne nouvelle, et c’est une étude de Marissa King qui le dit (Research: We’re Losing Touch with Our Networks, Harvard Business Review, février 2021), c’est que durant le Covid et les confinements, les réseaux masculins se sont repliés nettement plus fortement que ceux des femmes, plus resserrés en moyenne mais reposant sur des liens profonds et réguliers.
Un bon moyen de s’atteler à l’ouverture de son réseau, c’est de s’inscrire à un évènement, au hasard un de ceux de Curiosity, et de se mettre au défi d'engager la conversation avec sa voisine de droite à l’issue de la conférence. Qui sait, peut-être qu’une personne du rang de devant se joindra à la conversation, suivie par deux autres du rang de derrière, dont Sarah. Qui ne pensait pas rester mais sera finalement la dernière à partir.
Elle prendra un café la semaine suivante avec Caroline, leur conversation n’était pas terminée. Caroline parlera d’elle à Sébastien, qui, enthousiasmé, demandera son CV pour le montrer à Laura, la big boss. Devinez qui sera embauchée dans trois mois, lorsqu’un budget aura été débloqué ? Celle qui n’avait pas les codes, qui n’y arrivait pas.
C’est ainsi, autour de thématiques qui vous plaisent, dans des lieux choisis pour vous mettre à l'aise, ou dans votre coffee shop préféré, que se tisse le filet puissant des relations.
Et soyez-en certaines : vous êtes, chacune à votre manière, expertes en la matière.
Julie Allison
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