💌 Qui fixe les règles ?

Par Ophélie Chavaroche.

Curiosity Club News
6 min ⋅ 03/04/2025

Il y a peu de temps encore, le sang menstruel dans les publicités pour produits hygiéniques était bleu. On disait « les ragnagnas » ou « les Anglais ont débarqué », et aussi « tu vas faire tourner la mayonnaise ! » Soyons honnêtes, il nous arrive encore d’avoir recours à des circonvolutions oratoires pour tenter d’exprimer discrètement que nous avons nos règles, et ne parlons même pas du tampon caché dans la manche, tenu bien fort avec la crainte qu’il ne tombe et nous expose aux yeux du public alors que nous marchons le plus dignement possible vers les toilettes.

Le tabou des règles hante toujours notre quotidien. En France, une personne sur deux déclare ne pas être à l’aise pour en parler librement, particulièrement au travail.

Évidemment, c’est vieux comme le monde. Les travaux en anthropologie nous le disent : nos cultures se sont construites sur une binarité qui sépare les genres et qui établit que les hommes, supposément plus actifs, maîtrisent leur corps tandis que les femmes le subissent. Le sang menstruel ne vient pas par la volonté : il est donc un déchet, une souillure, et tous les grands textes religieux prescrivent que la femme impure doit être séparée de l’homme ou de la collectivité. Le nœud du problème, c’est que les discours médicaux ont rationnalisé ces élucubrations essentialistes. Dans le monde occidental, depuis l’Antiquité jusqu’au XVIIIème siècle, le « modèle du sexe unique » affirmait que l’appareil reproductif féminin serait une version imparfaite des organes masculins. En traduction : ces caillots évacués par les femmes n’ont pas la noblesse de la semence masculine. On est bien d’accord que les deux n’ont rien à voir, mais auriez-vous osé contredire Aristote ? Ou même encore Pline l’Ancien, éminent naturaliste romain, qui soutenait mordicus que les menstruations peuvent faire tourner le vin, ternir les miroirs et rendre les chiens enragés… À travers l’autorité des discours scientifiques et la puissance des images populaires, une représentation ultra négative des règles s’est imposée.

En 2025, le tabou des règles perdure de plusieurs façons : 

D’abord, une mise à distance de la connaissance : que sait-on de leur durée et de leurs effets à moins d’être concernées ? Et, longtemps biberonnées au mythe du cycle de 28 jours ou à la normalisation de la douleur, comment concevoir qu’il existe autant de façons d’avoir ses règles que de personnes menstruées ? Puis, une misogynie tellement banalisée qu’elle est relayée par les hommes comme par les femmes : « ça va pas aujourd’hui, t’as tes règles ou quoi ? » Et enfin, une exigence de dissimulation ou de mise sous silence. Oserez-vous par exemple transmettre cette newsletter aux hommes de votre entourage ? Oserons-nous faire des règles un véritable sujet public, particulièrement en entreprise ? La remise à demain des réflexions sur le congé menstruel nous en dit malheureusement long.

Les conséquences des règles, pourtant, sont réelles : 65% des femmes salariées ont déjà été confrontées à des difficultés liées à leurs règles et 44% n’ont pas pu aller travailler à cause de leurs menstruations.

Et puis, disons les choses clairement. Être une personne menstruée, cela implique une palette de responsabilités quotidiennes qui donne le vertige : il y a bien évidemment la possibilité de la douleur ou de pathologies invalidantes, mais aussi une charge financière évaluée entre 10 000 et 23 000 euros au cours d’une vie ! A cela s’ajoute la charge mentale (prévoir la date, localiser les toilettes, faire un stock de protections…) et la charge émotionnelle (dissimuler, prendre sur soi quand on se sent mal…)

Pourquoi ces différentes obligations – qui impactent directement ma famille, mon travail, ma carrière et mes projets – relèveraient-elle de ma seule responsabilité en tant que femme ? Il est grand temps de fixer de nouvelles règles.

Sources :
- Opinion Way 2023 pour Règles Elémentaires
- IFOP 2022
- Thomas Laqueur, La fabrique du sexe. Essai sur le corps et le genre en Occident (1992)  

Ophélie Chavaroche

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Par Curiosity Club

Française et britannique, femme, mère et amante, plume et cadre dirigeante, Julie aime les mots mais pas les cases étroites dans lesquelles on range les idées et les gens. Elle milite pour une intelligence plurielle, pour le droit à être plusieurs choses en même temps et considère la curiosité comme la plus belle des qualités. Pour Curiosity Club, elle partage des fragments de vie et pose des mots sur les déflagrations qui nous ébrèchent autant qu'elles nous grandissent. 

Ophélie est diplômée d’un PhD en philosophie et études de genre de l’université de Cornell (USA). Elle enseigne les humanités politiques et les questions de genre à Sciences-Po Paris. Son approche éclaire les sujets d’égalité F/H, d’inclusion et de leadership par les sciences humaines.

Valentine partage avec nous les 10 ans qu’elle a passé sur le terrain à parcourir les zones de conflits pour faire respecter le « droit de la guerre » et améliorer les conditions des civils souffrant d'années de conflits. De la gestion du risque et de la peur à l’exploitation de ses forces en passant par l’adaptation à son environnement et la négociation, vous n’êtes pas au bout de vos surprises. 

Philosophe de formation, Camille a travaillé comme chargée de recherches dans le milieu de l’innovation sociale, puis comme conseillère auprès d’un élu local. Elle écrit pour contribuer à la fabrique d'un monde pétri de moins d'inégalités - qu'elles soient sexistes, classistes, racistes, validistes. Ses domaines de prédilection ? L’égalité femmes-hommes, la justice sociale et le travail, la culture et le design.


Jeanne a étudié les lettres et le cinéma à Paris, Montréal et Rome. En 2024, elle s'est installée sur l'île de Groix pour reprendre la co-direction artistique du FIFIG, un festival de cinéma documentaire dédié à l'insularité. Elle travaille en parallèle sur ses propres projets de films documentaire et d'écriture.

Consultante et aujourd'hui journaliste, Clémentine s'intéresse notamment aux évolutions du monde du travail, aux questions de genre et d'égalité, et à l’écologie. Elle aime écrire sur l'actualité, les gens qu’elle rencontre ou pour détailler les pérégrinations de son cerveau.