💌 Les femmes ne sont pas des fées (et gouverner n’est pas un concours de virilité).

Par Julie Allison.

Curiosity Club News
7 min ⋅ 06/03/2025

Dans une vidéo virale sur Instagram, Brian Cox, physicien britannique, rêve d’envoyer toute personnalité politique amenée à diriger un pays dans l’espace. L’idée est attractive, j’ai en tête quelques profils à mettre en orbite pour un temps indéterminé.
Brian Cox propose plutôt de les faire revenir, car tous les astronautes partis dans l’espace ont témoigné de cette prise de conscience : notre planète bleue est seule, incroyable, et si petite à l’échelle de l’univers. Nous sommes toutes et tous les pièces d’un même écosystème, comment peut-on imaginer un instant de ne pas unir toutes nos forces pour le préserver ?

En réponse aux tensions géopolitiques qui montent chaque jour d’un cran, si la solution de Brian Cox est poétique, il y en a de plus réalistes, data à l’appui : une étude de Laurel Stone en 2014, sobrement intitulée Quantitative analysis of women's participation in peace processes, analyse 40 traités de paix négociés depuis la fin de la guerre froide et démontre que lorsque des femmes sont impliquées, un traité de paix a plus de 20% de chances de durer au moins deux ans et plus de 35% de chances de durer 15 ans.

Problème. Vous avez vu beaucoup de femmes parmi les protagonistes qui prétendent décider de la marche du monde et de notre avenir commun, dernièrement ? Moi non.

Alors mesdames, où êtes-vous ?

Dans le paysage médiatique des dernières semaines, quelques voix d’hommes s’élèvent pour appeler à l’arrêt de la « masculinité toxique » à l’origine de l’escalade géopolitique. On ne les a pas attendus pour le penser mais on peut saluer cette prise de conscience, aussi tardive soit-elle. Certains vont jusqu’à dire qu’il est « temps pour les femmes de prendre leur place ».

Traduction : « Au secours, on est une dans une merde noire.»
La course effrénée à celui qui aura la plus grosse (fortune), la plus large (armée) ou la plus longue (durée au pouvoir) a dérapé au point de mettre en péril la stabilité démocratique.

Alors c’est vrai, ça, où sont-elles, ces femmes dont on aurait grand besoin pour siffler la fin de la récréation et nettoyer après la fête ?

Chers hommes, les femmes que vous aimeriez voir intervenir sont absentes parce que le statut quo confortable que vous avez contribué à entretenir les fragilise encore et toujours.

On pensait pourtant avoir compris la leçon : la place limitée des femmes dans les années 30 avait coûté cher, leur rôle indispensable pendant les années de guerre était venu rappeler qu’elles constituent 50% de la population mondiale et qu’à ce titre, leur place est dans les sphères de décision sur un pied d’égalité avec les hommes. Par la suite, Eleanor Roosevelt a joué un rôle majeur dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, Monica McWilliams fut négociatrice clé des accords de paix en Irlande du Nord ; l’accès au droit de vote et à l’éligibilité des femmes au fil des années ont contribué activement à la stabilité et à la prospérité.

Mais depuis une vingtaine d’années, on observe un glissement du pouvoir des institutions politiques vers les acteurs privés. Et dans ce monde-là, après avoir consciencieusement démonté les marches de l’escalier, on se tourne encore régulièrement vers les femmes pour leur demander pourquoi elles restent en bas.

En 2025, un grand nombre de femmes restent affaiblies :
- sur le plan financier, dans un monde dans lequel “cash is king”: dans 73% des couples, c’est toujours la femme qui touche le plus petit salaire (Baromètre ViveS 2025). L’argent demeure une source d’angoisse pour 39% d’entre elles.
- sur le plan de la confiance en elles, aussi : à force d’entendre qu’elles sont «trop» ou «pas assez» (jeunes, seniors, expérimentées, disponible, cochez la case qui convient), nombre d’entre elles n’osent plus s’exprimer. Et se disent « peu intéressées » par les jeux de pouvoir. Difficile en effet de maintenir son intérêt pour un jeu dont les règles vous sont systématiquement défavorables.

L’appel aux femmes pour prendre le leadership lorsqu’une situation paraît sans issue, c’est ce que l’on appelle une « falaise de verre » (glass cliff en anglais, un concept apparu en 2005).
En clair : tout le monde s’est cassé les dents dessus, la situation paraît inextricable, il n’y a plus de budget.
Demander aux femmes de prendre le relais dans ces moments-là, c’est leur dire : « Tenez, voici les commandes ! Ah, au fait, on a enlevé les freins et vidé le réservoir. Bonne chance.»

Petit rappel de bon sens, donc : une femme est un être humain, éventuellement une dirigeante ou une négociatrice aguerrie, mais ce n’est pas une fée munie d’une baguette magique et capable d’apaiser les tensions d’un « bisou qui guérit tout ».
Aux amateurs de jeux de cow-boys et de pistolets, qui réalisent ces jours-ci combien il est effrayant de tirer soudain à balles réelles : il serait temps de cesser de croire à la mère Noël. Les femmes aussi tomberont de vos falaises de verre érigées à grands coups de démonstrations viriles.

En cette veille de journée internationale des droits des femmes, à défaut d’envoyer des politiques dans l’espace, je rêve d’un monde où les femmes cessent d’attendre l’autorisation de petits garçons déguisés en hommes politiques, en hommes d’affaires, en milliardaires et prennent la place qui leur revient : 50% des voix, au travail, à la maison et à la table des négociations.

Julie Allison

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Par Curiosity Club

Française et britannique, femme, mère et amante, plume et cadre dirigeante, Julie aime les mots mais pas les cases étroites dans lesquelles on range les idées et les gens. Elle milite pour une intelligence plurielle, pour le droit à être plusieurs choses en même temps et considère la curiosité comme la plus belle des qualités. Pour Curiosity Club, elle partage des fragments de vie et pose des mots sur les déflagrations qui nous ébrèchent autant qu'elles nous grandissent. 

Ophélie est diplômée d’un PhD en philosophie et études de genre de l’université de Cornell (USA). Elle enseigne les humanités politiques et les questions de genre à Sciences-Po Paris. Son approche éclaire les sujets d’égalité F/H, d’inclusion et de leadership par les sciences humaines.

Valentine partage avec nous les 10 ans qu’elle a passé sur le terrain à parcourir les zones de conflits pour faire respecter le « droit de la guerre » et améliorer les conditions des civils souffrant d'années de conflits. De la gestion du risque et de la peur à l’exploitation de ses forces en passant par l’adaptation à son environnement et la négociation, vous n’êtes pas au bout de vos surprises. 

Philosophe de formation, Camille a travaillé comme chargée de recherches dans le milieu de l’innovation sociale, puis comme conseillère auprès d’un élu local. Elle écrit pour contribuer à la fabrique d'un monde pétri de moins d'inégalités - qu'elles soient sexistes, classistes, racistes, validistes. Ses domaines de prédilection ? L’égalité femmes-hommes, la justice sociale et le travail, la culture et le design.


Jeanne a étudié les lettres et le cinéma à Paris, Montréal et Rome. En 2024, elle s'est installée sur l'île de Groix pour reprendre la co-direction artistique du FIFIG, un festival de cinéma documentaire dédié à l'insularité. Elle travaille en parallèle sur ses propres projets de films documentaire et d'écriture.

Consultante et aujourd'hui journaliste, Clémentine s'intéresse notamment aux évolutions du monde du travail, aux questions de genre et d'égalité, et à l’écologie. Elle aime écrire sur l'actualité, les gens qu’elle rencontre ou pour détailler les pérégrinations de son cerveau.