Afghanes : l’effroi, l’impuissance, et l’action.

Par Valentine Honoré

Curiosity Club News
3 min ⋅ 14/03/2024

Lors d’une soirée pluvieuse, installée paisiblement dans le salon de mon appartement de Genève, poussée par la nostalgie de mon 38 ème printemps déjà passé, je feuillette les albums photos de ma vie d’avant, de ma vie d’exploratrice. C’est un mot que j’aime bien, exploratrice, quel mot plein de promesses ! Bien qu’en me l’attribuant, cela donne l’impression de ne plus passer les portes. D’autres diraient aventurière, quand d’autres encore, plus justes, diraient simplement, expatriée. Je parcours celui d’Afghanistan, qui contient de beaux tirages en noir et blanc, de cette époque glorieuse ou je faisais encore de l’argentique.

Je revois les visages de femmes afghanes, photographiées lors des week-ends aux alentours de Kaboul, à Istalif, Paghman, ou lors de visites de projets d’aide humanitaire dans le Wardak, la vallée du Panjshir. Je revois leurs regards qui dégageaient souvent tant de dignité.

Pendant ces quatre années en Afghanistan, combien de femmes afghanes ai-je eu la chance de rencontrer ? Combien de femmes infirmières, anesthésistes m’ont inspirée à l’Institut médical français pour l’enfant où je travaillais ? Combien de filles en uniformes, le regard fier de celles qui apprennent, ai-je croisé dans les visites d’écoles ?

Soudainement, surgit une grande tristesse, un abîme sans fond. Depuis le retour des talibans au pouvoir en Afghanistan il y a deux ans, les femmes afghanes sont plongées dans une longue nuit. Dans ce 21 ème siècle de fracas, elles vivent une vie en cage dans des maisons devenues leurs prisons. Les talibans leur ont déclaré la guerre, elle est totale, le sexe féminin doit être éradiqué de la vie publique. C’est un nouveau fascisme, mais le reste du monde regarde déjà ailleurs. Elles sont bannies des bains publics (souvent seul accès à l’hygiène), des salons de beauté, des écoles pour les filles de plus de douze ans (2.5 millions de filles sont déscolarisées), de nombreuses professions. L’institut de recherche Samuel Hall projette que l’effet cumulatif de la génération perdue de femmes afghanes exclues des collèges et lycées, se traduira par une perte de 10 milliards de dollars, soit 2/3 du PIB actuel du pays.

Devant l’ineffable souffrance de ces femmes, nous ressentons tous l’effroi et l’impuissance. Sur le mal, le philosophe Jankélévitch a « conscience de l’infini du mal et il en appelle donc à la nécessité de l’infini de l’amour, non que celui-ci soit certain de l’emporter, nullement, mais lui seul est à la hauteur de la puissance du mal, lui seul peut faire face et permettre à l’Histoire d’espérer se déployer autrement » (Cynthia Fleury, Un été avec Jankélévitch).

Depuis mon retour du terrain, le Curiosity Club m’a invitée à prendre la parole pour raconter mon engagement humanitaire. J’aime transmettre dans mes Curiosity Talk la nécessité de se souvenir des femmes qui dans de trop nombreux pays ne sont pas libres et d’agir pour elles. Je cite souvent la grande juge de la Cour suprême des Etats-Unis, Ruth Bader Ginsburg, qui demande de « toujours tenter de faire quelque chose en dehors de vous-même, battez-vous pour une amélioration même modeste pour les autres, pour ceux qui ne sont pas chanceux comme vous l’êtes ».

Seule l’action peut tenter de faire sens de l’immense catastrophe dont sont victimes les Afghanes. Voici des exemples concrets de l’aide que vous pouvez leur apporter :

Faire un don aux associations FemAid et Nayestane, et au projet « Laissez-nous apprendre » qui soutient la création d’espaces temporaires d’apprentissage
Faire un don à Radio Begum, qui a pour mission de donner une voix aux femmes afghanes, et éduquer les filles
S’informer, en lisant le livre de la grand reporter Solène Chalvon-Fioriti, La femme qui s’est éveillée: une histoire afghane, ed. Flammarion et regarder son documentaire bouleversant, Afghanes
Faire pression sur vos élus locaux pour autoriser le droit d’asile et des visas humanitaires pour les femmes afghanes ; et vos universités pour accueillir de jeunes étudiantes d’Afghanistan

Hier soir, la Présidente de l’association FemAid m’a envoyé un message d’une des institutrices : « Actuellement, les écoles clandestines sont comme des tranchées entourées par l’ennemi de toute part. Mais vous pouvez être certaine que même s’il ne reste qu’un centimètre d’espace à creuser, nous le creuserons et créerons un chemin pour continuer l’éducation de nos filles. On fait de notre mieux pour rester debout et Inshallah, continuer d’avancer, jusqu’à ce que le dernier chemin nous soit clos ». Leur courage nous oblige. Notre action et notre amour peuvent aider l’Histoire pour espérer qu’elle se déploie autrement.

Je m’appelle Valentine Honoré et vous remercie de m’avoir lue. J’aimerais vous écrire encore, car des choses à dire, j’en ai beaucoup. Sur ma mission en Ukraine, l’engagement écologique et de la vie qui vaut la peine d’être vécue, encore plus quand nous agissons pour les autres.

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Par Curiosity Club

Française et britannique, femme, mère et amante, plume et cadre dirigeante, Julie aime les mots mais pas les cases étroites dans lesquelles on range les idées et les gens. Elle milite pour une intelligence plurielle, pour le droit à être plusieurs choses en même temps et considère la curiosité comme la plus belle des qualités. Pour Curiosity Club, elle partage des fragments de vie et pose des mots sur les déflagrations qui nous ébrèchent autant qu'elles nous grandissent. 

Ophélie est diplômée d’un PhD en philosophie et études de genre de l’université de Cornell (USA). Elle enseigne les humanités politiques et les questions de genre à Sciences-Po Paris. Son approche éclaire les sujets d’égalité F/H, d’inclusion et de leadership par les sciences humaines.

Valentine partage avec nous les 10 ans qu’elle a passé sur le terrain à parcourir les zones de conflits pour faire respecter le « droit de la guerre » et améliorer les conditions des civils souffrant d'années de conflits. De la gestion du risque et de la peur à l’exploitation de ses forces en passant par l’adaptation à son environnement et la négociation, vous n’êtes pas au bout de vos surprises. 

Philosophe de formation, Camille a travaillé comme chargée de recherches dans le milieu de l’innovation sociale, puis comme conseillère auprès d’un élu local. Elle écrit pour contribuer à la fabrique d'un monde pétri de moins d'inégalités - qu'elles soient sexistes, classistes, racistes, validistes. Ses domaines de prédilection ? L’égalité femmes-hommes, la justice sociale et le travail, la culture et le design.


Jeanne a étudié les lettres et le cinéma à Paris, Montréal et Rome. En 2024, elle s'est installée sur l'île de Groix pour reprendre la co-direction artistique du FIFIG, un festival de cinéma documentaire dédié à l'insularité. Elle travaille en parallèle sur ses propres projets de films documentaire et d'écriture.

Consultante et aujourd'hui journaliste, Clémentine s'intéresse notamment aux évolutions du monde du travail, aux questions de genre et d'égalité, et à l’écologie. Elle aime écrire sur l'actualité, les gens qu’elle rencontre ou pour détailler les pérégrinations de son cerveau.