💌 25 ans ou une histoire de vocabulaire.
Par Jeanne Hardy
Aujourd’hui je me suis sentie vieille. J’ai 25 ans, ce n'est pourtant pas bien vieux, 25 petites années de vie.
Pourtant, j’ai reçu un petit coup aujourd’hui. Un coup de vieux mais un coup de vieux, joyeux !
Comme un bon nombre de jeunes de mon âge, je cumule encore les petits boulots à droite, à gauche. Aujourd’hui, comme tous les mardis, c’était baby-sitting.
On entame donc le rituel : remonter à l’appartement en luttant contre les stratégies pour rester avec les copines, le goûter avalé en moins de temps qu’il n’en faut pour sortir la montagne de paquets de gâteaux du tiroir à sucre, les grandes négociations pour décaler l’heure des devoirs et puis la grande tyrannie infantile, les jeux imposés. En aucun cas je ne peux imaginer avoir mon mot à dire sur le type de jeu que nous entamerons. Enfin, je termine ma mission en accompagnant les deux sœurs à leurs activités extra-scolaires. Alors que nous marchons toutes les trois dans la rue, elles commencent leur débrief de la journée. J’écoute d’une oreille les ragots de la cour de récré. Mon oreille se tend lorsque j’entends que Natacha est queer de toute façon.
Comment peut-on connaître ce mot là à 10 ans ?
- Tu as dit quoi ?
- Bah t’as entendu si tu me demandes de répéter
- Mais comment tu connais le mot queer toi ?
- Bah tout le monde le connaît !
- Mais tu sais ce que ça veut dire ?
- Bah ouais...
Je me tourne alors vers la plus jeune.
- Et toi aussi tu sais ce que ça veut dire ?
Sa réponse en forme de haussement d’épaule et regard méprisant signifiant un grand “évidemment pour qui tu me prends” mélangé à un mimétisme de la grande soeur, met fin à la conversation.
En rentrant chez moi je me questionne sur ma connaissance du mot queer. Ce mot, certaines personnes de plus de 30 ans ne le connaissent pas, ou mal. Pour ma part, j’ai la sensation que ma découverte est extrêmement récente. Peut-être l’avais-je entendu au cours d’une conversation ou au détour d’un article, mais la conscience de ce qu’il signifie et mon utilisation spontanée de ce terme, remonte, il me semble, à seulement deux ou trois années.
Adolescente, au collège, au lycée, lorsque j’ai commencé à affirmer des choses à propos des femmes, revendiquer quelques idées volées à droite, à gauche dans mes premières lectures ou au cinéma, on me taxait de “féministe”. Le ton avait toujours quelque chose d’envolé, presque comme une insulte. En famille, lors des repas, si j’élevais un peu la voix pour affirmer quelque chose ou contredire un oncle, un cousin ou une parole qui ne me plaisait pas, on disait “ah revoilà la féministe”. Et puis parfois on m’introduisait aussi comme “Jeanne la féministe”. Il y avait là une étiquette presque stigmatisante, en tout cas identificatoire. Il y a la féministe et les autres. Mes idées étaient pourtant bien lointaines, naïves ou schématiques comme le sont parfois celles des adolescentes et aux prémisses d'une époque bien différente de celle d’aujourd’hui. Désormais, je suis sans cesse frappée par la taille des rayons de littérature féministe lorsque je rentre dans une librairie. Parfois, des vitrines entières sont dédiées à la sortie d’un écrit féministe.
Je ne crois pas pouvoir dater précisément ma prise de conscience des inégalités hommes femmes. Peut-être progressivement, en grandissant, on identifie des situations injustes, on remarque que nos statuts avec les garçons ne sont pas les mêmes. Les petites filles d’aujourd'hui, les adolescentes, sont à peine sorties de l’enfance mais déjà affirmées et féministes revendiquées. Ce n'est même pas un sujet. Les petites filles, les adolescentes d'aujourd'hui ont dans les mains de nouveaux modèles. Elles grandissent dans un univers où l’accès aux idées est plus simple et où l’étiquette féministe ne s'appose pas comme une différence, elles le sont c’est tout. C’est normal.
Alors forcément, ces contacts avec les femmes de demain, questionnent ma propre conscience féministe. Elle change, elle avance au gré des vagues de protestation, des mouvements et des enjeux. Elle suit aussi les avancées. Vibre dans les élans collectifs et se réjouit des débats possibles.
Mais qu’elle semble en retard à côté de la puissance des adolescentes d’aujourd'hui !
En retournant au baby-sitting quelques jours plus tard, je retrouve les deux sœurs et mon envie de les questionner là-dessus bouillonnait. La conversation me fait vite réaliser que si Natacha est queer c’est parce qu’elle a embrassé une fille sur la bouche. Mais il parait que c’est “cool d’être queer”. Leur définition est bien approximative et pleine de naïveté. Alors peut-être qu’elles ne savaient pas exactement le sens du mot queer, mais à 10 ans, moi, j’étais bien loin de connaître l’existence même du terme. Alors, je finirai par les mots d’une autre, sans aucun doute “les petites filles sont des punks”. Et les petites filles d’aujourd’hui ont la révolution dans les mains. Pour demain.
Jeanne Hardy
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