Fermons nos portes.

Par Sophie Astrabie

Curiosity Club News
3 min ⋅ 14/03/2024

Lundi 29 août, c’était le jour de ma rentrée. Mes enfants étaient censés aller chez leurs grands-parents pour ces quelques jours de latence, entre l’école et les vacances. Seulement voilà, un Covid est passé par là et des enfants sont donc restés par ici. Comme le furet finalement. Car elles courent, elles courent, elles aussi. Autour de la table du salon.

Le problème c’est que j’ai du travail, des mails auxquels je dois répondre, des délais à respecter et surtout ENVIE de reprendre. Envie d’être devant mon ordinateur, envie d’aller au bout de mes projets, envie d’avancer dans mon année.

Alors j’explique à mes filles. Elles sont trop petites mais j’explique car on n’obtient jamais rien en sous estimant les gens, que je vais travailler un peu et qu’il faut qu’elles ne me dérangent pas, qu’elles jouent toute seule pendant une heure et qu’après on ira au parc.

Et pendant un certain temps ça fonctionne. Je travaille en bas sur la table du salon, leur père travaille en haut dans le bureau. Je fais du chocolat et il fait un gâteau. En quelque sorte.

Au bout de quelques minutes, vient la première question. Puis la deuxième, puis la troisième. À la quatrième, à moins que ce ne soit la cinquantième, je décide moi aussi d’en poser une, de question : "mais pourquoi vous m’empêchez de travailler moi et jamais papa ?”

Réponse immédiate : "Mais papa il a la porte fermée, on ne peut pas le déranger."

Je n’ai rien répondu. J’ai juste constaté que c’était vrai et que depuis leurs naissances, je ne fermais plus de porte. Je ne ferme plus la porte de ma douche, plus celle des toilettes, plus celle de mon bureau et surtout, je ne ferme plus toutes les portes métaphoriques de la vie.

Je ne ferme plus la porte de l’appel de l’école ou de la crèche en cas de maladie. Je ne ferme plus la porte du tour au parc bien que je n’ai pas le temps de le faire juste parce que je n’imagine pas une journée d’enfance entre quatre mursJe ne ferme même plus la porte de mon sommeil car je les entends.Quoi qu’elles fassent et quoi que j’ai pu faire de ma soirée, si elles m’appellent en pleine nuit, je les entends. 

Je ne ferme plus mes portes car les hommes bien souvent ferment les leurs et si on est deux à fermer nos portes, alors que se passe-t-il ? La parentalité est parfois un duel dans lequel les hommes se sont retournés et ont fermé leur porte en premier. Mais si les hommes ferment leur porte, c’est aussi, sans doute, parce que nous laissons la nôtre entre-ouverte.

Seulement voilà, ma mère ne savait pas non plus fermer une porte et ma grand-mère n’a pas eu d’autre choix que de laisser la sienne ouverte. Alors je reproduis, par mimétisme, par habitude, par culpabilité. Parce qu’inconsciemment, la société attend des femmes qu’elles laissent leur porte ouverte et que cette même société leur a appris auparavant à être sages et à respecter les règles.

Beaucoup de femmes ont l’impression qu’il est impossible de fermer leur porte. Du moins, moi, j’ai cette croyance.

Mais si je ne ferme pas ma porte, alors comment puis-je espérer qu’un jour ma fille ferme la sienne ? Cette culpabilité que j’éprouve, ne la ressentirai-je pas bien davantage plus tard, quand ma fille ne parviendra pas à fermer sa porte à elle ?

La frustration d’aujourd’hui est la libération de demain. Nous avons la clé. À présent fermons nos portes.

Sophie Astrabie

Curiosity Club News

Par Curiosity Club

Française et britannique, femme, mère et amante, plume et cadre dirigeante, Julie aime les mots mais pas les cases étroites dans lesquelles on range les idées et les gens. Elle milite pour une intelligence plurielle, pour le droit à être plusieurs choses en même temps et considère la curiosité comme la plus belle des qualités. Pour Curiosity Club, elle partage des fragments de vie et pose des mots sur les déflagrations qui nous ébrèchent autant qu'elles nous grandissent. 

Ophélie est diplômée d’un PhD en philosophie et études de genre de l’université de Cornell (USA). Elle enseigne les humanités politiques et les questions de genre à Sciences-Po Paris. Son approche éclaire les sujets d’égalité F/H, d’inclusion et de leadership par les sciences humaines.

Valentine partage avec nous les 10 ans qu’elle a passé sur le terrain à parcourir les zones de conflits pour faire respecter le « droit de la guerre » et améliorer les conditions des civils souffrant d'années de conflits. De la gestion du risque et de la peur à l’exploitation de ses forces en passant par l’adaptation à son environnement et la négociation, vous n’êtes pas au bout de vos surprises. 

Philosophe de formation, Camille a travaillé comme chargée de recherches dans le milieu de l’innovation sociale, puis comme conseillère auprès d’un élu local. Elle écrit pour contribuer à la fabrique d'un monde pétri de moins d'inégalités - qu'elles soient sexistes, classistes, racistes, validistes. Ses domaines de prédilection ? L’égalité femmes-hommes, la justice sociale et le travail, la culture et le design.


Jeanne a étudié les lettres et le cinéma à Paris, Montréal et Rome. En 2024, elle s'est installée sur l'île de Groix pour reprendre la co-direction artistique du FIFIG, un festival de cinéma documentaire dédié à l'insularité. Elle travaille en parallèle sur ses propres projets de films documentaire et d'écriture.

Consultante et aujourd'hui journaliste, Clémentine s'intéresse notamment aux évolutions du monde du travail, aux questions de genre et d'égalité, et à l’écologie. Elle aime écrire sur l'actualité, les gens qu’elle rencontre ou pour détailler les pérégrinations de son cerveau.