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Par Curiosity
26 nov. · 4 mn à lire
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💌 Des valises pleines de temps pour soi.

Par Ophélie Chavaroche.

« T’as pas fini ta valise ? »

Il est minuit, on part en vacances dans quelques heures, et devant ma tête effarée mon conjoint s’abstient sagement de tout commentaire supplémentaire. Il peut lire sur mon visage le stress, le découragement, l’énervement, la honte d’être toujours la dernière… et puis, soudain, un sourire qui pointe au bord des lèvres alors que je m’installe dans le canapé avec un thé et un livre pour une pause bien méritée.

En effet, ma valise n’est pas prête. En revanche, j’ai bouclé celle des enfants, prévu des jeux pour les trajets, et invité les cousins à dîner quand on sera arrivés. J’ai actualisé la trousse à pharmacie en envisageant tous les scénarios possibles, y compris la rupture de stock nationale de paracétamol. J’ai rangé, trié, fait les lessives, nettoyé le frigo au vinaigre blanc et prévenu les voisins de notre départ. Je continue ? Parce que j’ai aussi travaillé à temps plein…

Depuis 2017, grâce aux BD d’Emma Clit, on a des mots et des images pour penser la charge mentale. Pour autant, les derniers chiffres IPSOS rappellent que 63 % des femmes françaises se sentent débordées. Une situation plus marquée encore pour les mères, qui consacrent en moyenne 22 heures par semaine aux petits contre 5 heures pour les pères

Alors ne faisons pas comme si le problème était résolu.

Lorsque l’on évoque la charge mentale, on se concentre sur ses effets délétères sur la santé. Parce qu’ils peuvent être graves, mais aussi parce que le burn-out coûte cher à la société. Il est pourtant un autre aspect que j’aimerais évoquer : comment serait la vie des femmes si elles s’offraient une partie du temps et de l’énergie qu’elles consacrent à autrui ?

La charge mentale, nous dit la chercheuse Allison Daminger, c’est un travail cognitif permanent et invisible qui consiste à anticiper les besoins, identifier les solutions, prendre des décisions et assurer le suivi d’un ensemble de tâches afin de servir l’intérêt d’un collectif. En termes plus familiers c’est souvent : « Demande à Maman, elle a une meilleure mémoire. »

Mais Maman n’est pas née avec des super pouvoirs cognitifs. En revanche, elle a développé des stratégies pour se remémorer les besoins d’autrui et y répondre au mieux. Et ce faisant, elle a été valorisée socialement pour sa capacité à gérer la famille selon les normes en vigueur, elle s’est projetée en « bonne mère » et s’y consacre donc assez volontairement. Au point d’en oublier qu’elle aussi a des besoins, des désirs, des projets.

Toute notre culture est construite pour que les femmes s’investissent le plus naturellement possible dans le labeur quotidien, invisible et non rémunéré du soin du collectif. J’utilise ici le terme de ‘labeur’ à dessein, car je pense à Hannah Arendt, qui dans La condition humaine (1958) faisait une distinction cruciale entre ‘le labeur’ et ‘l’œuvre’. Le labeur, qui répond aux besoins vitaux, est toujours à recommencer (lessive, courses, valises !) et ne laisse aucune trace pérenne ni fierté. L’oeuvre, elle, advient quand le labeur est fait : elle consiste en la fabrication d’objets porteurs de sens, qui durent et qui offrent une reconnaissance publique (créer sa boîte, écrire un livre !). Vous saisissez la différence ?

Nous n’échapperons pas au labeur du quotidien. Mais rappelons-nous de ne pas nous laisser submerger. C’est par l’œuvre qu’on grandit, qu’on s’épanouit et qu’on se relie à autrui - pas par des chaussettes mille fois bien lavées.

Dans ma valise cet été il y aura donc : moins de vêtements propres, plus de « non » ou de « je ne sais pas », et un projet de livre.

Et vous, qu’y mettrez-vous ?

Ophélie Chavaroche

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