💌 Lancer la balle comme une fille.

Par Camille Lizop.

Curiosity Club News
5 min ⋅ 05/09/2024

Throwing like a girl. Certains titres se suffisent à eux-mêmes. La philosophe féministe américaine Iris Marion Young publie ce texte « Throwing like a Girl. A Phenomenology of Feminine Body Comportment, Motility and Spatiality » en 1980. Elle soutient la thèse suivante : les filles et les garçons ont une façon distincte de se mouvoir dans l’espace. Et cette différence n’a aucun fondement biologique.

L’autrice fait référence aux travaux du neurologue Erwin Straus, quand il compare la façon dont des garçons et des filles s’exécutent, après qu’on leur a demandé de lancer une balle. Il observe :

Les unes, figées, utilisent seulement leur avant-bras - pour un résultat peu concluant. Les autres - les garçons - balancent aisément leur bras d’arrière en avant, profitant d’une grande amplitude de mouvement, et d’un lancer plus performant. Le chercheur se réfère à une explication biologisante : en raison de leurs différentes constitutions et morphologies, garçons et filles n’auraient pas les mêmes capacités. La philosophe Iris Marion Young montrera au contraire que cette différence n’a rien d’une fatalité, qu’il n’est pas tant question de capacité que d’apprentissage et de socialisation.

Quand j’ai découvert ce texte, ça m’a fait tout drôle. Comme une évidence insoupçonnée. Elle avait mis les mots sur une image de toujours, à laquelle je n’avais jamais vraiment pensé.

Lancer la balle comme une fille. C’est exactement ça. Je me suis demandé comment j’aurais lancé cette balle à 8 ou 14 ans. J’étais pas mal en EPS mais je n’en étais pas moins fille. Puis je me suis demandé ce que je faisais d’autre “comme une fille”. Pour le meilleur et pour le pire. J’ai aussi sondé mon entourage. On a donc tergiversé sur nos façons de crier (avec la voix qui monte dans les aigus), de s’asseoir (avec les jambes croisées ou serrées), d’écouter (avec la tête un peu penchée sur le côté) ; d’éternuer (tout doucement) ; de jouir (comme dans les films) ; de porter quelque chose de lourd (à bout de bras et jambes tendues).

Il y a nos vies, nos voix, nos choix. Et puis il y a nos gestes les plus insignifiants. Le diable se cache dans les détails et le patriarcat dans nos moindres faits et gestes. Mais moi, j’ai longtemps préféré les idées aux objets. Vous aussi, vous êtes peut-être déjà rassurée, en cas de casse, de vol ou de perte : “ce n’était que matériel”. Sous-entendu l’essentiel est ailleurs.

Convenons-en désormais : la décorrélation entre l’esprit et la matière était un leurre. C’est aussi dans nos manières que se joue l’espoir d’une égalité entre les hommes et les femmes. La manière n’est pas une façon de faire, elle est l’action même. Lancer la balle comme une fille, c’est à la fois la conséquence d’une éducation de fille, et son prolongement. À chaque fois qu’on lance la balle comme une fille, on remet une pièce dans la machine.

La beauté du geste, c’est de prêter attention : la plupart des gestes de fille sont des gestes que nous n’avons pas appris, auxquels nous nous essayons sans y penser. Ça ne s’improvise pas, d’ouvrir des huîtres. Mais ça s’apprend.

Camille Lizop

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Française et britannique, femme, mère et amante, plume et cadre dirigeante, Julie aime les mots mais pas les cases étroites dans lesquelles on range les idées et les gens. Elle milite pour une intelligence plurielle, pour le droit à être plusieurs choses en même temps et considère la curiosité comme la plus belle des qualités. Pour Curiosity Club, elle partage des fragments de vie et pose des mots sur les déflagrations qui nous ébrèchent autant qu'elles nous grandissent. 

Ophélie est diplômée d’un PhD en philosophie et études de genre de l’université de Cornell (USA). Elle enseigne les humanités politiques et les questions de genre à Sciences-Po Paris. Son approche éclaire les sujets d’égalité F/H, d’inclusion et de leadership par les sciences humaines.

Valentine partage avec nous les 10 ans qu’elle a passé sur le terrain à parcourir les zones de conflits pour faire respecter le « droit de la guerre » et améliorer les conditions des civils souffrant d'années de conflits. De la gestion du risque et de la peur à l’exploitation de ses forces en passant par l’adaptation à son environnement et la négociation, vous n’êtes pas au bout de vos surprises. 

Philosophe de formation, Camille a travaillé comme chargée de recherches dans le milieu de l’innovation sociale, puis comme conseillère auprès d’un élu local. Elle écrit pour contribuer à la fabrique d'un monde pétri de moins d'inégalités - qu'elles soient sexistes, classistes, racistes, validistes. Ses domaines de prédilection ? L’égalité femmes-hommes, la justice sociale et le travail, la culture et le design.


Jeanne a étudié les lettres et le cinéma à Paris, Montréal et Rome. En 2024, elle s'est installée sur l'île de Groix pour reprendre la co-direction artistique du FIFIG, un festival de cinéma documentaire dédié à l'insularité. Elle travaille en parallèle sur ses propres projets de films documentaire et d'écriture.

Consultante et aujourd'hui journaliste, Clémentine s'intéresse notamment aux évolutions du monde du travail, aux questions de genre et d'égalité, et à l’écologie. Elle aime écrire sur l'actualité, les gens qu’elle rencontre ou pour détailler les pérégrinations de son cerveau.